Roman

« L’école des soignantes » de Martin Winckler

ecole-des-soignantesJ’avais été très marquée par « Le chœur des femmes » de Martin Winckler. Quand je l’avais lu, je crois que c’était la première fois que je lisais un médecin, homme qui plus est, décrire avec autant de justesse le vécu des femmes, leur lien avec leur corps, avec la médecine. Il y a tant à dire sur la prise en charge de la santé des femmes – c’est une thématique qui émerge de plus en plus, mais le chemin à parcourir est encore long. Des violences médicales existent encore trop souvent, héritage d’un certain patriarcat et de préjugés en tous genres.

Dans ce livre, Martin Winckler imagine un hôpital où les femmes sont au cœur de la prise en charge – femmes qu’on soigne, et femmes qui soignent. Un homme entre comme soignant dans cet hôpital, et c’est par son regard et son vécu que l’on découvre cet hôpital atypique. Il y a, comme dans les autres livres de Martin Winckler, toujours beaucoup d’engagement, une défense permanente des femmes. Hélas dans ce livre-ci j’ai trouvé les messages peu subtils, les propositions moins nuancées (presque une somme de caricatures qui sonnaient un peu faux à force d’être accumulées). J’ai préféré m’arrêter vers la page 100 (sur plus de 500), et rester sur le bon souvenir de ma précédente lecture.

S 1-3P.O.L, 562 pages, 21,50€

Nouvelles

« Les plaisirs et les jours » de Marcel Proust

Capture d’écran 2024-10-03 204337J’adore les boutiques de musée. J’y trouve toujours des ouvrages discrets, des éditions méconnues ou devenues introuvables. Je peux citer plein d’exemples, de Paul-Emile Victor à Emma Calvé, mais aujourd’hui c’est (de nouveau) de Marcel Proust que je vais vous parler. La maison de la Tante Léonie a rouvert ses portes il y a quelques mois, et si je n’ai pas pu y être le jour de l’inauguration, j’y étais quand même le premier week-end (j’ai des lubies comme ça).

Et donc, dans la boutique souvenirs, il y avait ce livre de jeunesse écrit par Proust quand il avait 25 ans, et dont je n’avais jamais entendu parler.

D’abord le livre est un bel objet en soi, une édition qualitative qui reproduit la version originale avec de nombreuses illustrations. Je ne suis plus habituée à ce style de présentation dans les livres, et j’ai aimé cet objet au charme désuet et coquet.

Sur le fond c’est un assemblage de textes très courts, souvent des portraits, avec quelques tentatives – moins réussies – d’exploration sur d’autres genres, comme la poésie. C’est amusant de retrouver d’un côté l’œil perspicace que l’on connaît de Proust pour croquer les personnages, faire ressortir leurs petits vices ou leurs petites manières ; et d’un autre côté (sans être du tout une spécialiste de Proust), je n’ai pas reconnu son style d’écriture. Les phrases sont courtes (si si, c’est vrai), sans ambages. C’est étonnant, intéressant aussi car on mesure le cheminement dans la façon d’écriture, qui évolue au fil des années. Le cœur des histoires n’est pas passionnant en lui-même, mais je suis contente que ce petit livre un peu à part dans l’œuvre de Proust, ait rejoint ma bibliothèque.

S 3-3Calmann-Lévy, 352 pages, 35€

Policier·Roman

« Un dernier verre avant la guerre » de Dennis Lehane

81Jg5x-ejBL._SY466_Aurais-je abordé ce livre de la même manière s’il ne m’avait pas été recommandé ? Probablement pas. Il y a des livres que l’on ouvre avec un a priori positif, parce qu’on nous en a parlé en bien, parce qu’on a envie de se dire qu’on va aimer cette lecture nous aussi.

Heureusement – et j’en viens au fait – cette lecture a été à la hauteur de mes attentes ! C’est le premier tome d’une série consacrée aux détectives Patrick Kenzie et Angela Gennaro, installés à Boston (dans un clocher, bizarrerie de l’histoire).

Si vous avez l’habitude de lire mes chroniques, vous vous dites peut-être : détectives + duo + série = cosy mystery.

Pas du tout.

Ici on est loin des quiches empoisonnées et des jalousies de village. Ici on est dans le glauque, le poisseux, l’Amérique sombre des années 1990. D’ailleurs j’ai trouvé le début un peu daté, avec des détails qui créent une ambiance de vieux film noir, où des politiques véreux font appel à des détectives pour retrouver des documents volés par une femme de ménage. Dans l’Amérique décrite ici, c’est avant tout un combat de classes, les puissants contre les modestes, les Blancs contre les Noirs.

Les deux personnages principaux ne sont pas spécialement sympathiques : lui est désabusé (au début du livre on ne sait pas trop dans quel camp il joue) ; elle est une femme battue dont on ne comprend pas l’absence de révolte. Mais j’ai fini par m’attacher à eux, aux blagues acerbes de Patrick, aux erreurs d’Angela (bien qu’il multiplie les liaisons, Patrick est amoureux d’elle, et elle devient attachante à travers ses yeux à lui).

Il y a quelques scènes assez violentes pendant les affrontements entre gangs de rue ; j’ai lu ces quelques pages en diagonale pour ne pas trop m’y attarder. Tout le reste du roman est bien construit, avec des messages de fond, et un bon équilibre entre la noirceur du récit et parfois des petites pointes d’humour noir qui nous arrachent un sourire et laissent une trêve de quelques pages au lecteur.

Je sais déjà que je lirai le prochain tome (je l’ai déjà réservé à la bibliothèque…), et dans tous les cas je ne regrette pas d’avoir suivi ce conseil de lecture !

S 3-3Rivages, 352 pages, 9,65€

Roman

« Perspective(s) » de Laurent Binet

Capture d’écran 2024-09-29 202901J’étais très intriguée par ce roman dont j’ai souvent vu passer la couverture dans des chroniques de lecteurs. L’histoire se passe à Florence (raison de plus pour me laisser séduire) en 1557. Un célèbre peintre, commandité pour décorer une chapelle, est retrouvé assassiné. Cela faisait des années qu’il travaillait dans le plus grand secret sur cette fresque, alors les suspects ne manquent pas : des religieuses choquées par les peintures de nu, un comparse peintre, un noble…

La bonne idée de ce roman est d’être un mélange de roman épistolaire et d’enquêtes. Les lettres que s’échangent les différents personnages permettent d’identifier progressivement les suspects et de comprendre quelles auraient pu être leurs motivations – jusqu’au dénouement, qui n’est pas totalement inattendu.

J’ai plusieurs fois confondu ou oublié des personnages et ai été obligée de me référer à la quatrième de couverture pour reprendre le fil. J’ai aussi regretté quelques longueurs dans le dernier tiers du roman, et ai fini par m’ennuyer – dommage !

La partie qui explicite le titre « Perspective(s) » est très intéressante, mais hélas elle est arrivée trop tard dans ma lecture et n’a pas suffi à me faire changer d’avis sur l’ensemble du livre.

S 1-3Grasset, 304 pages, 21,50€

BD·C'est mercredi, on lit avec les petits !

« Les enquêtes des enfants capables (tome 1) » de Nathalie Dargent et Lucie Bryon

81DDCsu4YaL._SY466_Ben et Capucine ont créé avec leur « mécanichien » Toto et leur ami imaginaire Ujesh le « Club des enfants capables ». Ben est un inventeur de génie, tandis que sa sœur Capucine adore les enquêtes et les mystères.

Dans ce premier tome, ils doivent retrouver qui a envoyé une lettre de menace à Ben pour le dissuader de participer à une course aérienne. L’enquête réserve quelques surprises, surtout dans le dénouement final. Les personnages sont originaux, enthousiastes, malins. Les dessins sont jolis et restituent bien l’ambiance un peu désuète de la fin du XIXième siècle, avec de nombreuses idées et illustrations de machines étonnantes (ne manquez pas de lire la double page après le roman, avec sa liste d’inventions plus ou moins farfelues, et toujours drôles).

S 3-3Ed Milan (le 1er tome ne se trouve plus en librairie, mais il est disponible dans une intégrale)

Roman

« Le Silence et la Colère » de Pierre Lemaitre

Capture d’écran 2024-09-25 141931S’il y a bien un auteur dont je conseille tout le temps les romans, c’est Pierre Lemaitre. Depuis ses romans noirs jusqu’à la trilogie « Les enfants du désastre » (contenant l’excellent « Couleurs de l’incendie »), j’ai lu à peu près tous ses romans.

Dans « Le Silence et la Colère », on retrouve la famille Pelletier déjà présente dans « Le Grand monde ». Les deux romans peuvent se lire indépendamment, mais ne vous privez pas de les lire dans l’ordre pour apprécier encore plus la singularité des personnages. Il y a Louis, le patriarche (ou du moins est-ce ainsi qu’il se voit) ; François le fils sérieux, journaliste ; Hélène, photographe et pigiste ; et Jean, dit Bouboule, marié à la tyrannique Geneviève. Chaque personnage a de l’épaisseur, chacun à lui seul pourrait porter un roman entier, tant l’auteur développe bien les intrigues autour d’eux. Tout est passionnant à lire : les doutes de François sur l’identité de sa compagne ; l’enquête d’Hélène dans un village promis à la destruction, sa grossesse non désirée à une époque où l’avortement était pénalement répréhensible ; Bouboule, son magasin et ses « dérapages » ; le patriarche et sa lubie de pèlerinage en famille… Et puis Geneviève, terrifiante, mesquine, et ridicule à la fois – elle est le ressort tragique et comique de cette saga. Tout, vous dis-je, tout m’a happée dès la première page et jusqu’à ce que je referme le livre. Il est difficile de résumer un tel roman, dense, bien construit, avec plein de ramifications ; alors faute de mieux, je n’ai qu’un mot : foncez !

S 3-3Calmann-Lévy, 592 pages, 23,90€ (existe aussi en format poche)

Cosy mystery·Policier

« Son espionne royale (tome 13) : Amour et mort parmi les léopards » de Rhys Bowen

9782221272107ORIAdieu les courants d’air du château familial de Rannoch : pour son voyage de noces avec Darcy, Georgie découvre le Kenya. Si vous aimez l’ambiance « Out of Africa », vous allez adorer.

Nos deux tourtereaux sont hébergés chez des expatriés britanniques, aux mœurs particulièrement légères… Mais entre la surveillance de son cousin David (un prétexte au début du roman, mais finalement peu exploité) et une mission secrète de Darcy, c’est un autre événement qui va perturber la lune de miel de Georgie.

Le début est très long – oserai-je dire que ça sent le remplissage sans grand intérêt pendant un bon premier tiers du roman ? Il faut attendre l’arrivée au Kenya, et la mort d’un des hôtes, pour que l’histoire s’épaississe un peu.

Sinon, pour l’ambiance, ça fait du bien de voir Georgie enfin heureuse en couple, et le dépaysement de ce tome apporte aussi un petit vent de nouveauté dans la série.

S 2-3Robert Laffont – Coll. La Bête noire, 360 pages, 14,90€

Roman

« Trust » de Hernan Diaz

152855_couverture_Hres_0Petite déception sur ce roman, sur lequel j’avais pourtant lu d’enthousiastes avis.

Début XXième siècle, dans l’Amérique conquérante et audacieuse, Andrew est un financier à qui tout réussit. Sa fortune est immense, et lui est aussi respecté que craint. Mais derrière la réussite financière, sa vie personnelle auprès de sa femme Mildred n’est pas aussi rose – car celle-ci est gravement malade.

Et soudain le roman bascule sur une toute autre histoire.

Il faut attendre une bonne moitié du roman pour comprendre où l’auteur veut en venir. J’ai eu un moment d’incompréhension dans ma lecture, perturbée par des chapitres sans lien. Je me disais bien que les pièces du puzzle s’assembleraient à un moment pour donner un sens à l’ensemble, mais j’ai été trop perdue dans ma lecture pour retomber sereinement sur mes pieds. Le dernier tiers du roman, quand les choses prennent place, devient alors beaucoup plus intéressant, même si je n’ai pas trouvé l’ensemble révolutionnaire.

S 1-3Points, 406 pages, 10,20€. Traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Nicolas Richard

Biographie

« Emma Calvé » de Laetitia Bex

Capture d’écran 2024-09-06 195050Je n’avais jamais entendu parler d’Emma Calvé avant de découvrir une pièce qui lui est consacrée dans un musée de Millau. Je suis toujours intriguée par la genèse des destins hors du commun : comprendre leur parcours, découvrir leur histoire familiale, et surtout lever un peu le voile qui sépare la personnalité célèbre et l’homme ou la femme derrière les apparences.

Emma Calvé (1858-1942) est une cantatrice qui était très célèbre à son époque. D’origine modeste, très attachée à l’Aveyron de son enfance, c’est sa voix qui lui a permis de devenir une artiste mondialement connue – elle a en particulier beaucoup voyagé aux Etats-Unis.

Ce livre retrace essentiellement sa vie d’artiste, ses choix, ses succès, mais aussi ses failles (ses maladies, ses angoisses) et ses engagements pour de nombreuses causes. Quand les sources documentaires existent, on apprend aussi les grandes étapes de sa vie de femme – on y découvre les grands traits de sa personnalité, mais elle-même est toujours restée réservée sur sa vie privée, et beaucoup d’interrogations restent sans réponse.

J’ai beaucoup aimé cette biographie qui se lit comme un roman, à travers des chapitres très courts qui donnent beaucoup de rythme au récit. Les quelques photos reproduites au centre du livre permettent de mettre un visage sur une vie. Nul besoin d’être un mélomane averti pour être séduit par ce livre, un beau portrait de femme talentueuse et tourmentée.

S 2-3Acala, 385 pages, 20€

Biographie·Essai / Document

« Voyage à Berlin – Danielle Darrieux sous l’Occupation », de Jérôme Bimbenet

tallandier-d.darieux-sous-occupation-crgSur la photo de couverture, c’est une jeune femme élégante, souriante, pleine de fraîcheur : c’est une femme amoureuse. Nous sommes en mars 1942 et Danielle Darrieux part rejoindre l’homme qu’elle aime, Porfirio Rubirosa, qui ne peut quitter Berlin.

Qui étaient les acteurs qui ont accepté de voyager en train jusqu’en Allemagne par temps de guerre ? Pourquoi ont-ils accepté ce voyage, qu’avait chacun d’entre eux à y gagner ?

Longtemps ce voyage leur a été reproché, même si Danielle Darrieux s’est toujours défendue en arguant qu’elle n’avait pour seule motivation que de retrouver son fiancé.

Faire tout un livre sur ce voyage pourrait faire craindre quelques longueurs, en particulier pour les lecteurs qui n’ont pas connu la plupart des acteurs cités (ce qui est mon cas). Pourtant le livre va bien au-delà du voyage de Danielle Darrieux et raconte une tranche de l’histoire du cinéma français.

Si l’auteur du livre semble un admirateur sincère de Danielle Darrieux, il n’est pas un admirateur aveugle et s’étonne – voire s’agace – des réponses un peu naïves de l’actrice lorsqu’elle a été interrogée sur certains épisodes de cette période. L’auteur ne juge pas, n’accuse pas, il souligne des faits et raconte des situations qui mettent le lecteur mal à l’aise – amoureuse, ambitieuse, mais aveugle à quel point ?

Derrière l’actrice, il y a aussi le portrait d’une époque, les écarts de traitement entre le milieu du cinéma et le reste de la population. J’ai trouvé très instructif de voir cette période historique traitée sous un angle très spécial (celui du cinéma français et des vedettes de l’époque), entre insouciance, ambitions personnelles, et œillères souvent difficiles à défendre.

S 2-3Tallandier, 297 pages, 21,50€