BD

« Mauvais genre » de Chloé Cruchaudet

Capture d’écran 2024-06-30 210135Paul et Louise sont amoureux, vivent ensemble, se marient. Mais la guerre est déclarée et Paul, qui faisait son service militaire, est appelé à combattre. Dans les tranchées, il voit l’horreur, la mort. Il tente d’échapper à la guerre en se blessant volontairement. Mais cela ne suffit pas.

Il déserte. Mais vivre enfermé le rend fou. Pour sortir dans la rue, il emprunte les vêtements de sa femme… et se rend vite compte que cette nouvelle apparence pourrait le sauver…

Cette BD est la tragique histoire d’un couple déchiré par les conséquences de la guerre, l’histoire aussi d’un homme marqué par l’horreur qu’il a vue, et la soif d’être libre et vivant. C’est un livre fort et marquant, dont on ne ressort pas tout à fait indemne.

Le choix du noir et blanc, avec quelques touches de rouge, est particulièrement judicieux pour servir le récit. Certains dessins, pour appuyer l’histoire, sont assez durs et nécessitent que le lecteur soit prévenu. L’ambiance globale est très spéciale ; si au départ le travestissement de Paul peut sembler amusant, il devient vite l’objet de scènes destructrices.

Je connaissais Chloé Cruchaudet pour son adaptation de la biographie de Céleste Albaret (la gouvernante de Proust) ; je la découvre ici dans un registre très différent, sombre, mais avec les mêmes qualités graphiques et narratives.

S 3-3Ed. Delcourt, 160 pages, 23,49€

BD

« Aparthotel Deluxe » de Edo Brenes

9782849534731_20496_R400Dans une ville du Costa Rica, les destins se croisent. Il y a un homme qui vide l’appartement de son père décédé ; et quelques jours avant, des voisins qui se sont croisés sur le palier, inquiets d’entendre la douche couler depuis des heures.

Mélancolie et réflexions sur la vie et l’âme humaine sont au coeur de cette BD. Les personnages, très différents les uns des autres, partagent avec le lecteur une tranche de vie, le temps d’une soirée propice aux rencontres, aux pensées nostalgiques, aux projets et aux déceptions. On ne sait jamais ce qui se passe derrière la porte refermée d’un appartement. On ne connaît pas toujours ses voisins. La BD incite le lecteur à l’introspection. Que garde-t-on de son enfance ? Assume-t-on toujours qui on est ? Chaque personnage porte son lot d’interrogations, et une petite pierre à l’édifice de cette BD.

Les dessins sont très bien réalisés et méritent d’être minutieusement observés. Ils portent l’histoire autant que le texte, dans des tons ocres ou gris pas très joyeux mais qui sont au service du récit.

S 3-3La Boîte à bulles, 144 pages, 24€

BD

« Le droit du sol » d’Étienne Davodeau

F00234Cette BD m’attendait depuis des mois et des mois, je ne sais pas dire pourquoi j’ai attendu aussi longtemps pour la lire… A la faveur d’une « pause » entre deux romans, je me suis finalement immergée dans la marche d’Etienne Davodeau (dont je connaissais « Les ignorants », conseillé par une amie blogueuse spécialiste ès BD il y a fort longtemps).

L’objectif de la marche d’Etienne Davodeau est de rejoindre Bure, dans la Meuse, qui fait l’objet d’un projet d’enfouissement de déchets nucléaires. Et puisque le point d’arrivée montrera ce que les humains sont capables d’enfouir de nocif dans le sous-sol, le point de départ de la marche en sera l’exact opposé : un joli site du Lot où les hommes, un jour lointain, ont dessiné dans une caverne…

Le livre est un tout petit peu long à démarrer – disons que c’est un échauffement – mais devient ensuite très intéressant. Au premier niveau, d’abord, avec les réflexions et le quotidien d’un marcheur, ses rencontres, quelques situations qui font sourire. Puis au second niveau, quand on entre dans le fond du sujet et que l’auteur donne la parole à un expert du nucléaire ou à un militant. C’est très pédagogique, assez accessible dans les explications.

Les dessins, en noir et blanc, sont réussis et retranscrivent bien l’ambiance de la randonnée.

N’attendez pas aussi longtemps que moi pour découvrir cette BD !

S 3-3Futuropolis, 216 pages, 25€

BD·C'est mercredi, on lit avec les petits !

« Enquête au collège » (BD) de Jean-Philippe Arrou-Vignod et Joël Legars

Ce document a été créé et certifié chez IGS-CP, Charente (16)

Je connaissais déjà les « Enquêtes au collège » de Jean-Philippe Arroud-Vignod, pour les avoir lues en roman. Ce sont des enquêtes amusantes, qui ont pour héros trois collégiens : Mathilde, Rémi et Pierre-Paul dit P.P Cul-Vert (le petit intello et assurément le plus drôle des trois).

J’étais très curieuse de découvrir l’adaptation en bande dessinée de ces romans. Dans cette enquête-ci, l’agent d’entretien du collège a été agressé la nuit dans une salle de classe. Les premiers indices accusent Rémi ; il va lui falloir l’aide de ses amis pour être innocenté.

J’ai d’abord été un peu perturbée par les dessins des personnages, qui ne sont pas les mêmes que ceux de la version roman (et en particulier P.P. Cul-Vert a une drôle de tête avec ses énormes lunettes). Mais je me suis vite habituée et j’ai trouvé les personnages attachants comme dans les romans.

Il y a une vraie enquête, avec des fausses pistes, des témoins, des indices, et une fin tout à fait honorable. L’agent d’entretien est juste assommé et il est précisé dès le début qu’il est « hors de danger », ce qui permet de ne pas ajouter de gravité supplémentaire à l’histoire.

J’espère que les autres romans de cette série seront aussi adaptés en BD !

S 3-3Gallimard Bande dessinée, 80 pages, 16,50€ (reçu via « Masse critique »)

Manga

« A la recherche du temps perdu », adaptation en manga par le collectif Variety Artworks d’après Marcel Proust

9782302064089-001-XMa découverte de l’œuvre de Proust est assez originale. Pour ceux qui n’ont pas suivi mes précédentes chroniques, j’avais d’abord commencé par lire le texte original, qui m’est tombé des mains et que je n’ai pas rouvert pendant des années. Puis j’ai découvert les premiers tomes de la formidable adaptation en BD par Stéphane Heuet, un petit bijou visuel qui se base sur le texte original et qui m’a donné envie de réessayer de lire Proust dans le texte. Et quand j’ai lu la chronique d’un lecteur sur cette adaptation en manga, j’ai été intriguée. Quel challenge de synthétiser toute la « Recherche » dans un manga de 384 pages ! Les éditeurs ont pris la précaution de mettre un encart au début du livre pour préciser que c’est une adaptation qui ne dispense pas de la lecture des romans, comme une première approche pour découvrir ces textes. Et c’est exactement comme ça que j’ai abordé ce livre, comme on verrait un film avant de lire le livre. Cela donne les grandes lignes, cela permet de situer les personnages, et pour le reste, allez lire le roman…

Je ne suis pas du tout une experte de Proust et n’ai pas tout lu de son œuvre. Pour ce que j’en connais, je trouve que malgré les larges coupes indispensables pour tenir dans un format court, et malgré un ordre qui me paraît modifié dans le déroulé, on retrouve bien les personnages clés, les passages incontournables, et les conclusions métaphysiques de l’auteur, son rapport au temps,… Donc cela fonctionne plutôt bien et la promesse initiale est tenue !

Une particularité de ce manga est qu’il se lit comme un livre européen et non pas dans le format japonais des mangas.

Je ne suis pas très fan des bruitages écrits et des commentaires pour préciser les attitudes des personnages, qui n’apportent pas grand-chose ici, les dessins étant déjà réussis et expressifs.

Sans forcément reprendre le texte initial comme dans la BD de Stéphane Heuet, quelques phrases incontournables (« longtemps je me suis couché de bonne heure » etc) auraient apporté la cerise sur le gâteau.

En tout cas c’est vraiment une bonne entrée en matière à mettre dans les mains de tous ceux qui n’arrivent pas à lire les romans mais sont curieux d’en découvrir l’histoire et les personnages.

S 3-3Editions Soleil, 384 pages, 8,50€

BD

« Céleste. Bien sûr, monsieur Proust (partie 1) » de Chloé Cruchaudet

9782302095700-001-XTous les lecteurs de Marcel Proust et ceux qui s’intéressent à sa vie connaissent forcément ce prénom : Céleste.

Car Céleste Albaret a été pendant huit ans la gouvernante de l’écrivain, l’accompagnant au quotidien.

Un livre et un documentaire ont déjà mis en avant le témoignage que la gouvernante a accepté de faire de son vivant. Cette BD s’appuie largement dessus (entre autres sources) pour retracer la relation particulière de cette femme avec Proust. Jeune mariée au chauffeur de Proust, assumant de ne rien savoir faire de ses dix doigts (ce qui était peu courant pour une femme de son époque et de son milieu), elle entre au service de Proust comme coursier et livre ses colis dans tout Paris. Très vite elle se rend indispensable ; admirative de Proust (on comprend aussi qu’elle en était platoniquement amoureuse), elle trouve avec l’écrivain un mode de fonctionnement qui n’appartient qu’à eux. Lui, vit reclus dans sa chambre ; elle, peu conventionnelle et maladroite, vit ses journées dans l’attente qu’il la sollicite, et finit par se rendre indispensable pour la réécriture de « La recherche ».

Première partie d’une courte série qui comptera deux tomes, cette BD réussit à retranscrire la relation si particulière entre ces deux êtres atypiques – et au passage, évoque le mari dans quelques vignettes comiques.

Les dessins sont fidèles aux visages que l’on connaît (celui de Proust, celui de Céleste – qui est d’ailleurs repris en photo en fin de BD). Les dessins sont plutôt monochromes, mais avec un jeu de couleur bien trouvé (1 ambiance, 1 couleur).

J’avais repéré ce livre depuis longtemps, et sa lecture m’a donné envie de rouvrir « La recherche » et sa merveilleuse adaptation en BD par Stéphane Heuet. Et bien sûr, j’attends la seconde partie !

S 3-3Ed. Soleil, 18,95€

BD

« Automne en Baie de Somme » de Philippe Pelaez et Alexis Chabert

Capture d’écran 2023-09-03 185756Lire une bande dessinée est souvent pour moi une « pause » entre des lectures de romans très épais ou très marquants, un peu comme une transition douce.

« Automne en Baie de Somme » est une bande dessinée élégante, au style recherché et à l’histoire efficace et sans fioriture.

En 1896, l’inspecteur Amaury Broyan enquête sur la mort d’un capitaine d’industrie. L’homme était marié, respecté par ses ouvriers, et plutôt visionnaire. Il avait bien une maîtresse, mais c’était monnaie courante à l’époque et dans son milieu. Pas de quoi alerter l’inspecteur. Mais alors, qui a pu le tuer, et pourquoi ?

Deux choses m’ont marquée dans cette bande dessinée.

La première, c’est l’attention portée aux personnages féminins. Leurs dessins sont particulièrement soignés (les coiffures, le port de tête, …). Dans ces univers très masculins à l’époque (l’industrie, la police), elles sortent du lot et apportent du relief à l’histoire.

La deuxième, c’est le travail réalisé sur les personnalités des protagonistes. Ils ont chacun leur part d’ombre, leurs nuances. C’est plutôt malin.

L’histoire se lit assez vite (une soixantaine de pages), avec des passages plus poétiques et des citations de Nelly Roussel particulièrement bien choisies pour appuyer le récit. J’aurais bien prolongé cette lecture, pour l’intérêt de l’histoire et pour la qualité du récit.

S 3-3Grand Angle, 64 pages, 15,90€

BD·Biographie

« Simone Veil, l’immortelle » de Bresson et Duphot

Capture d’écran 2023-08-18 132932Dans ma liste de livres à lire « un jour » figure depuis longtemps d’autobiographie de Simone Veil. Mais jusqu’ici je n’ai jamais réussi à me lancer dans cette lecture car la vie de cette femme, incroyable par certains aspects, est aussi marquée d’événements tragiques et en particulier sa déportation en 1944 avec sa mère et sa sœur.

Cette bande dessinée est donc un bon moyen de découvrir son parcours.

Elle s’ouvre sur les débats autour de la légalisation de l’avortement, projet de loi porté par Simone Veil. On y voit Simone Veil, forte, droite, pleine de sang froid face aux insultes qui sont proférées à son encontre.

Pour comprendre cette femme, les auteurs retracent en parallèle son enfance dans une famille aimante, son adolescence studieuse et déjà rebelle, puis l’horreur des camps.

Je n’ai pas appris grand-chose sur la vie de Simone Veil, la plupart des grands événements de sa vie ayant souvent été rapportés dans des documentaires. Mais le récit est clair et bien amené, et j’ai apprécié le travail sur les dessins, très réalistes (on reconnaît bien tous les personnages connus, Simone Veil bien sûr mais aussi Jacques Chirac, Valéry Giscard d’Estaing, etc). Le jeu sur les couleurs est aussi très pertinent, et permet par un code couleur simple de suivre plusieurs temporalités en parallèle et en donnant le juste rythme aux flash-back.

C’est un livre intéressant, poignant, à lire et à faire lire pour découvrir celle qu’on appelait alors Madame « le » ministre. Que de chemin parcouru…

S 3-3Marabulles, 22,95€

BD

« La couleur des choses » de Martin Panchaud

arton231-a8cb0Feuilleter ce livre m’a tout de suite envie de le lire. Quel était donc cet étrange objet littéraire non identifié, ni roman, ni bande dessinée, ni vraiment roman graphique… inclassable, quoi. Une preuve ? Les personnages sont… des ronds.

Un rond pour Simon, un rond pour sa mère, pour son père, un rond pour les ado qui zonent dans le parc…

Le concept est très original, car basé sur le graphique. Tout en n’incarnant jamais les personnages, on les distingue bien, on suit facilement leurs aventures. Ne vous fiez pas au côté ludique de l’approche, ni aux couleurs gaies de la couverture : l’histoire est sombre (je ne m’y attendais pas, je n’avais pas lu le résumé). J’ai même failli reposer le livre ! Mais j’aurais eu tort car le concept mérite d’être suivi jusqu’au bout. Il y a quelques très bonnes trouvailles visuelles, et en tout cas ce livre ne ressemble à rien de ce que j’avais lu jusqu’ici. Il a reçu le Fauve d’or à Angoulême cette année, et c’est mérité.

S 3-3Ed. çà et là, 236 pages, 24€

BD

« Peau d’homme » de Hubert et Zanzim

9782344010648-001-TRenaissance. Bianca va bientôt se marier, mais elle déplore de ne rien connaître de son futur époux. Sa marraine lui confie alors un secret : depuis des générations, les femmes de la famille se transmettent une peau d’homme. En enfilant cette peau, une femme peut se faire passer pour un homme. Bianca décide de s’en servir pour infiltrer le quotidien de son futur mari, et ainsi mieux le connaître.

Les dessins sont bien faits, les pages pleines de rythme (avec même parfois plusieurs actions dessinées sur une même vignette en pleine page).

L’histoire s’empare des qualificatifs que l’on attribue / attribuait traditionnellement aux femmes ou aux hommes, et les démonte un par un, en apportant des arguments par les situations vécues. Le propos est donc complètement dans l’air du temps, l’histoire aurait presque pu être transposée telle quelle de nos jours.

Sans être trop moralisatrice, la BD aborde plein de sujets, tout en montrant que si l’on accepte de sortir un peu du cadre et de ne pas chercher à reproduire à tout prix les modèles de la société, il est possible de trouver des voies où chacun peut être heureux sans nuire au bonheur de l’autre sexe.

S 3-3Glénat, 27€