Nouvelles

« La Peur » de Stefan Zweig

9782253153702-001-TDe Stefan Zweig, j’ai déjà lu un certain nombre de « classiques », et je me souviens en particulier de la lecture de la biographie de Marie-Antoinette (sans doute l’une des premières biographies à avoir autant réhabilité cette reine – mais c’est un autre sujet) et du style clair et précis de l’auteur. J’ai retrouvé cela dans ce recueil de nouvelles, au nombre de six, qui sont autant de portraits méticuleux et bien croqués.

Ainsi, on découvre les portraits d’une femme adultère rongée par la peur d’être démasquée (c’est la nouvelle qui donne son titre au recueil) ; d’un pickpocket trahi par ses gestes et son allure ; d’une servante nommée Crescence, paysanne entrée au service d’un baron dont elle va devenir la complice zélée de ses trahisons ; d’un bouquiniste inoubliable ; d’un collectionneur devenu aveugle qui s’accroche au souvenir de ses précieuses acquisitions.

Chaque nouvelle est écrite comme un portrait, mais c’est en réalité tout un monde que Zweig décrit autour de chaque personnage : son cadre de vie, son histoire personnelle, ses interactions avec les autres, ses pensées profondes.

Les six nouvelles peuvent se lire indépendamment. Elles jouent toutes avec les codes de la nouvelle, dans le sens où chacune porte en quelques pages ou dizaines de pages une histoire complète, avec un univers propre. Pour moi qui suis si difficile avec ce genre exigeant qu’est la nouvelle, ce recueil est une belle découverte.

S 3-3Le Livre de poche, 249 pages, 6,90€

Roman

« Pussy suicide » de Rosanna Lerner

Capture d’écran 2025-01-30 191322Ottessa n’a que seize ans, mais une vie sexuelle déjà très active. Oscar lui fait tourner la tête, mais elle ne sait pas nommer cela amour. Elle collectionne les rencontres, les aventures d’un soir où même les prénoms ne sont pas dits. Avec sa copine Chloé, aussi paumée et délurée qu’elle, elles sortent en boîte, draguent des hommes de tous âges, se perdent.

Vous l’aurez compris, c’est un roman qui parle de destruction, de gamines désorientées pour lesquelles le sexe est un exutoire. Le vocabulaire est cru, les scènes sont très explicites.

Mais le récit est froid, les scènes s’enchaînent sans grande nuance, et la pitié que j’ai ressentie au début pour Ottessa s’est vite éteinte. Tous les ingrédients étaient réunis pour que le roman soit percutant, troublant, dérangeant ; pour que l’on tremble pour Ottessa quand elle se met en danger, pour qu’on ait envie de la sortir de la spirale infernale dont elle est prisonnière. Pourtant cela n’a pas fonctionné pour moi, je n’y ai vu qu’une accumulation de scènes prévisibles, sans nuance dans les émotions. Même la fin ne va pas jusqu’au bout, comme un ultime renoncement à faire de ce roman davantage qu’un livre qui sera vite oublié.

S 1-3Grasset, 224 pages, 19€ (livre reçu dans le cadre d’une opération « Masse critique »)

Roman

« Mon cœur a déménagé » de Michel Bussi

J’ouvre toujours les romans de Michel Bussi avec la curiosité de voir où l’auteur va m’emmener, dans quel labyrinthe habilement construit il va me perdre, et dans quels pièges je vais tomber.

9782266347105ORISes romans à « twist » (pour reprendre le terme que l’auteur utilise) sont inégaux, il y en a certains que j’adore et d’autres que j’ai trouvés moins surprenants. Celui-ci fait partie de ceux qui sont plutôt réussis, pas complètement révolutionnaire mais avec pas mal de rebondissements jusqu’aux dernières pages (et aussi des rebondissements intermédiaires, ce qui est encore mieux).

Ophélie, sept ans, vit dans un climat familial toxique : son père, alcoolique et drogué, est violent avec sa mère… jusqu’au jour où celle-ci est retrouvée morte. Le mari est accusé, emprisonné, et Ophélie est placée dans un foyer. Elle est persuadée que le travailleur social qui accompagnait sa mère aurait pu la sauver. A partir de là, elle n’aura qu’une idée en tête : le retrouver et se venger de lui.

On suit Ophélie jusqu’à l’âge adulte, dans une quête pleine de détermination où la vengeance est construite pierre par pierre, réfléchie, et donc redoutablement efficace.

Sur fond de drame familial, et tout en mettant sous les projecteurs les violences faites aux femmes et les féminicides, Michel Bussi entraîne son héroïne dans une trajectoire de vengeance bien menée.

Il n’oublie pas au passage quelques clins d’œil à ses références préférés, que ses lecteurs assidus ne manqueront pas de relever : Rouen, Saint-Exupéry, et bien sûr un extrait de chanson en guise de titre.

S 3-3Pocket, 480 pages, 9,20€

Roman

« Sous le compost » de Nicolas Maleski

9791033904687J’aime bien l’humour grinçant, le second degré, les histoires dont on ne sait pas tout de suite si elles seront drôles ou sombres – ou les deux. « Sous le compost » remplit tous ces critères. Son titre, déjà, ne laisse pas indifférent et m’a fait imaginer plein d’histoires, plein de chemins possibles pour ce roman.

L’histoire est celle de Franck et Gisèle, un couple uni qui vit dans un petit village. Elle mène une brillante carrière de vétérinaire ; il est écrivain de seconde zone et avant tout père au foyer et cultivateur de potager à plein temps.

Lorsqu’une lettre anonyme informe Franck que sa femme le trompe, il aurait pu la quitter, ou s’effondrer – et cela aurait été un tout autre roman. Mais Franck décide de prendre le contre-pied de cette tromperie, et de tromper à son tour sa femme avec celle de l’amant supposé. Passé l’effet de vengeance, il va se retrouver dans une situation de plus en plus difficile à gérer…

Avec un second degré très bien amené, l’auteur nous propose un roman qui balaie une grande diversité de situations qui mettent en scène les rapports humains, bien au-delà des relations de couple qui sont à la base de l’histoire : les amitiés de village, les jalousies professionnelles, et même le quotidien avec les enfants. Franck est tour à tour la victime et le coupable, il retourne les situations avec aplomb et une certaine dose de cocasserie.

C’est irrévérencieux, et cela m’a plu.

S 3-3HarperCollins, 256 pages, 7,50€

BD

« Le passage » de Benoît Vieillard

le_passage_cover-05631Nantes, 1837. Un notaire et un restaurateur ont tous deux de grandes idées pour transformer l’insalubre rue de la Fosse, et y faire déboucher un passage d’un nouveau genre. Au lieu de s’opposer, ils décident de s’unir, lèvent des fonds, et se lancent dans un investissement faramineux. On suit ainsi, au fil des pages, la création et la transformation du célèbre passage Pommeraye.

Si le livre a le format d’une bande dessinée, chaque double page est un plan en coupe de l’une ou l’autre des entrées du passage. Il y a un fil rouge de page en page, mais on peut s’attarder aussi sur les multiples détails, la vie aux différents étages des immeubles, la chocolaterie, la boucherie, l’hôtel…

L’angle de vue est vraiment intéressant, et plus original que si l’histoire avait été racontée via de classiques vignettes. Il fait réfléchir le lecteur sur la mémoire des lieux, sur ce que chacun y laisse, et sur l’évolution d’un endroit très fréquenté, que les passants traversent sans s’interroger. Si l’on ne connaît pas ce passage nantais, ce livre donne très envie d’aller y flâner et d’y chercher l’âme des esprits visionnaires qui l’on façonné, et de ceux qui ont continué, au fil des décennies, à y insuffler de la vie.

S 3-3Ed. Ouest France, 88 pages, 21€

BD

« Celle qui parle » d’Alicia Jaraba

Capture d’écran 2025-01-15 160345En 2024, j’ai vu au Musée du Quai Branly une exposition dédiée aux Mexicas, dont je garde un souvenir assez marquant. J’avais alors noté de lire cette bande dessinée, dans laquelle j’ai découvert une figure emblématique de l’Amérique centrale du XVIème siècle, dans cette zone qui deviendra le Mexique, et qui était alors habitée par des peuples opposés, voire ennemis.

Malinalli est la fille d’un chef de tribu, mais depuis le décès de celui-ci la vie du clan n’est plus la même pour elle. Entre les membres du clan qui sont vendus comme esclaves, ceux qui sont livrés pour des sacrifices humains, et la crainte permanente des exactions du peuple mexica, le quotidien de Malinalli est souvent celui d’une jeune fille qui se cache, encore, toujours. L’arrivée de conquistadors espagnols (dont Hernan Cortez, figure emblématique de cette époque) donne à Malinalli une opportunité qui pourrait aussi faire d’elle une traîtresse : elle va devenir la traductrice officielle entre les peuples.

Cette bande dessinée est particulièrement originale, en cela qu’elle traite d’une époque et d’un personnage féminin peu présents dans la littérature. Malinalli, à propos de laquelle nous sont parvenus peu de récits (et aucun d’elle directement, rappelons si nécessaire que les femmes à cette époque n’avaient pas le droit de s’exprimer), est un personnage féminin qui apparaît très moderne. Elle est à la fois prisonnière des traditions et des usages de son clan, et en même temps possède une certaine instruction (celle de la connaissance des plantes, que lui a transmise sa grand-mère ; celle des langues aussi) et surtout une indépendance d’esprit peu commune. Elle est souvent nommée comme étant « celle qui parle » et la bande dessinée fait la part belle à son rôle essentiel dans les échanges qui eurent lieu entre les Espagnols et différents peuples autochtones.

Quelle est la part historique, quelle est la part de fiction ? L’essentiel est la mise en avant d’une figure féminine trop oubliée de l’Histoire, dans un ouvrage très bien réalisé, où les regards sont expressifs, où l’enchaînement des cases reproduit bien les variations de rythme du récit (les temps apaisés à la rivière vs les moments de fuite, par exemple).

Dans un court texte en fin d’ouvrage, l’auteure explique avoir cherché à rendre Malinalli  «humaine ». Qu’elle se rassure, ce souhait est réalisé.

S 3-3Grand Angle, 216 pages, 24,90€

Policier

« Les secrets de la femme de ménage » de Freida McFadden

9782290391198J’avais beaucoup aimé le thriller psychologique « La femme de ménage », mais je me demandais comment une suite était possible – sauf à imaginer que Millie soit vraiment une femme de ménage très très malchanceuse dans le choix de ses employés !

J’ai donc débuté la lecture du deuxième tome avec prudence.

La première chose à vous dire, c’est que ce tome peut tout à fait se lire indépendamment du premier.

Millie est désormais en couple avec Brock, un avocat. Elle est toujours étudiante, et peine à joindre les deux bouts – elle rechigne à s’installer avec Brock. A la recherche d’un petit job, elle est embauchée par Douglas Garrick, un célèbre businessman du digital.Wendy, la femme de Douglas, vit prostrée dans sa chambre, et Millie ne tarde pas à comprendre que cette situation cache quelque chose…

La construction de ce tome est très proche de celle du premier, si bien que j’ai deviné beaucoup plus de pièges que dans le précédent, où je m’étais davantage laissée porter par les chapitres. Il y a donc, forcément, un « gros » rebondissement (et plusieurs moindres), que l’on voit un peu venir mais qui fonctionnent quand même. La lecture reste fluide, l’intrigue assez efficace, et les chapitres défilent sans qu’on s’en rende compte.

S 3-3J’ai lu, 416 pages, 8,60€

Essai / Document

« Les mythes grecs » de Pierre Sauzeau

8669.1728401254J’ai eu entre les mains de nombreux ouvrages consacrés à la mythologie grecque, et celui-ci est sûrement le plus complet et le plus précis d’entre eux.

Tout d’abord l’auteur précise assez vite qu’il n’y a pas « une » mythologie grecque, mais que de nombreuses versions sont parvenues jusqu’à nous – et dans la suite du livre il précise souvent les différentes versions en question, avec leurs auteurs.

L’ouvrage est aussi précis que pointu, il y a une vraie démarche d’exhaustivité et de précision dans chacun des chapitres. Je n’ai donc pas abordé ce livre comme une suite de « récits » mythologiques – d’ailleurs ce n’en est pas l’objectif me semble-t-il, l’auteur ayant pris le parti de rester très factuel, d’éviter tout embrasement littéraire qu’il est si facile de faire naître quand on parle de héros ou de grandes épopées.

Une fois ceci acquis, j’ai choisi d’abandonner la lecture linéaire de l’ouvrage et de choisir mes chapitres de lecture au gré de mes envies (et comme dans un dictionnaire, une entrée en appelle une autre, et j’ai fait des allers-retours entre les chapitres sans aucune difficulté).

Les chapitres sont structurés soit par récit mythologique (la Toison d’or, la Guerre de Troie, les Travaux d’Héraclès etc) soit par thématique (le ciel, les nymphes, les magiciens et magiciennes etc).

Ne manquez pas en introduction la représentation quasi généalogique des dieux et demi-dieux, qui vous donnera le vertige et montrera au lecteur, s’il en était besoin, le maillage entrelacé de ces personnages incontournables qu’il va côtoyer au cours des 550 pages.

S 3-3Les Belles lettres, 570 pages, 29,90€ (merci à l’éditeur pour l’envoi de ce livre)

BD

« Le crime d’Halloween », adaptation en BD du roman d’Agatha Christie par Dominique Ziegler et Cristian Montes

Capture d’écran 2025-01-05 094932Je connaissais déjà le roman d’Agatha Christie « Le crime d’Halloween », pour l’avoir lu plusieurs fois (et d’ailleurs chroniqué ici). Mais je ne résiste pas à cette collection d’adaptations en BD aux éditions Paquet, qui fait appel à différents auteurs et dessinateurs selon les titres. Je ne collectionne pas tous les titres de la collection, je me concentre sur les romans que j’ai bien aimés, ou les illustrations qui me font particulièrement de l’œil.

J’ai tout de suite aimé l’ambiance de cette adaptation ; le roman d’Agatha Christie est bien respecté, dans la construction et dans l’atmosphère de cet après-midi d’Halloween où se réunissent les enfants d’un village pour participer à différents jeux. Quand la jeune Joyce se vante d’avoir assisté un jour à un meurtre, personne ne la prend au sérieux. Mais quand elle est retrouvée morte quelques instants plus tard, chacun regrette de ne pas avoir prêté attention à ses paroles.

Ariadne Oliver, célèbre auteure de romans policiers, était présente sur les lieux. Elle fait appel à son ami Hercule Poirot pour démasquer le coupable.

L’histoire, je l’ai dit, est très fidèle à l’œuvre originale. Les dessins sont aussi très réussis : les décors sont pleins de détails (les jardins, les bibliothèques, les maisons…) et la gestuelle des personnages est très bien reproduite (il y a un joli travail sur les mains, en particulier).

Rendez-vous le 22 janvier pour la prochaine adaptation en BD de cette collection : ce sera « La maison du péril ».

S 3-3Ed. Paquet, 64 pages, 16,50€

Essai / Document

« Écrire sa vie » de Marianne Chaillan

9791032931929Ne vous fiez pas au titre, ce livre n’est pas un ouvrage de développement personnel. C’est un livre de philosophie. Autrement dit, ne vous attendez pas à des formules toutes faites ou des solutions clés en main, mais plutôt à des pistes de réflexion – à vous de voir quel courant philosophique aura le plus de résonance en vous.

Le point de départ est inspiré du film « Le Cercle des poètes disparus », quand Keating montre à ses élèves les photos des promos précédentes. Peut-on y deviner ce que deviendront ces jeunes gens ?

L’auteure propose alors plusieurs pistes de réflexion, inspirées des grands philosophes. Chez les stoïciens, aucun de ces jeunes n’aura vraiment le choix, déterminé par un destin qui le dépasse. Chez Aristote, c’est la contingence du futur, et nos propres délibérations, qui font de nous des êtres libres. Chez Sartre, aucune situation n’est favorable ou adverse : « Tel rocher qui manifeste une résistance profonde si je veux le déplacer sera, au contraire, une aide précieuse si je veux l’escalader pour contempler le paysage ». Au fil des chapitres, on fait un détour par la sociologie (Durkheim, Bourdieu), pour revenir à la dictature du « on » chez Heidegger, et la notion de liberté chez Spinoza, qui doit nous « décomplexer » en remettant en cause la notion de libre arbitre.

J’ai retrouvé des auteurs et des thèmes abordés en cours de philo au lycée, dans une version accélérée mais très pédagogique, utilisant des exemples actuels qui parlent à tous. J’ai pris pas mal de notes pour approfondir certains concepts et poursuivre mes lectures (Kafka, Camus, notamment).

Le livre ouvre aussi sur des sujets connexes, les algorithmes internet qui nous enferment dans nos domaines de prédilection, les techniques de nudging (le petit truc qui oriente nos décisions, comme l’achat d’un article parce qu’il est précisé que c’est le dernier disponible), tout en continuant à faire appel aux classiques, Balzac, Zola… J’ai navigué plaisamment entre les époques et les courants de pensée.

L’auteure conclut, sur l’air de « My way » de Sinatra : « Le bonheur n’est pas dans une plénitude qui exclurait toute souffrance, mais dans l’assentiment que l’on donne à son existence, telle qu’elle est. »

S 3-3Éditions de l’Observatoire, 160 pages, 19€