Essai / Document

« Les mythes grecs » de Pierre Sauzeau

8669.1728401254J’ai eu entre les mains de nombreux ouvrages consacrés à la mythologie grecque, et celui-ci est sûrement le plus complet et le plus précis d’entre eux.

Tout d’abord l’auteur précise assez vite qu’il n’y a pas « une » mythologie grecque, mais que de nombreuses versions sont parvenues jusqu’à nous – et dans la suite du livre il précise souvent les différentes versions en question, avec leurs auteurs.

L’ouvrage est aussi précis que pointu, il y a une vraie démarche d’exhaustivité et de précision dans chacun des chapitres. Je n’ai donc pas abordé ce livre comme une suite de « récits » mythologiques – d’ailleurs ce n’en est pas l’objectif me semble-t-il, l’auteur ayant pris le parti de rester très factuel, d’éviter tout embrasement littéraire qu’il est si facile de faire naître quand on parle de héros ou de grandes épopées.

Une fois ceci acquis, j’ai choisi d’abandonner la lecture linéaire de l’ouvrage et de choisir mes chapitres de lecture au gré de mes envies (et comme dans un dictionnaire, une entrée en appelle une autre, et j’ai fait des allers-retours entre les chapitres sans aucune difficulté).

Les chapitres sont structurés soit par récit mythologique (la Toison d’or, la Guerre de Troie, les Travaux d’Héraclès etc) soit par thématique (le ciel, les nymphes, les magiciens et magiciennes etc).

Ne manquez pas en introduction la représentation quasi généalogique des dieux et demi-dieux, qui vous donnera le vertige et montrera au lecteur, s’il en était besoin, le maillage entrelacé de ces personnages incontournables qu’il va côtoyer au cours des 550 pages.

S 3-3Les Belles lettres, 570 pages, 29,90€ (merci à l’éditeur pour l’envoi de ce livre)

Essai / Document

« Écrire sa vie » de Marianne Chaillan

9791032931929Ne vous fiez pas au titre, ce livre n’est pas un ouvrage de développement personnel. C’est un livre de philosophie. Autrement dit, ne vous attendez pas à des formules toutes faites ou des solutions clés en main, mais plutôt à des pistes de réflexion – à vous de voir quel courant philosophique aura le plus de résonance en vous.

Le point de départ est inspiré du film « Le Cercle des poètes disparus », quand Keating montre à ses élèves les photos des promos précédentes. Peut-on y deviner ce que deviendront ces jeunes gens ?

L’auteure propose alors plusieurs pistes de réflexion, inspirées des grands philosophes. Chez les stoïciens, aucun de ces jeunes n’aura vraiment le choix, déterminé par un destin qui le dépasse. Chez Aristote, c’est la contingence du futur, et nos propres délibérations, qui font de nous des êtres libres. Chez Sartre, aucune situation n’est favorable ou adverse : « Tel rocher qui manifeste une résistance profonde si je veux le déplacer sera, au contraire, une aide précieuse si je veux l’escalader pour contempler le paysage ». Au fil des chapitres, on fait un détour par la sociologie (Durkheim, Bourdieu), pour revenir à la dictature du « on » chez Heidegger, et la notion de liberté chez Spinoza, qui doit nous « décomplexer » en remettant en cause la notion de libre arbitre.

J’ai retrouvé des auteurs et des thèmes abordés en cours de philo au lycée, dans une version accélérée mais très pédagogique, utilisant des exemples actuels qui parlent à tous. J’ai pris pas mal de notes pour approfondir certains concepts et poursuivre mes lectures (Kafka, Camus, notamment).

Le livre ouvre aussi sur des sujets connexes, les algorithmes internet qui nous enferment dans nos domaines de prédilection, les techniques de nudging (le petit truc qui oriente nos décisions, comme l’achat d’un article parce qu’il est précisé que c’est le dernier disponible), tout en continuant à faire appel aux classiques, Balzac, Zola… J’ai navigué plaisamment entre les époques et les courants de pensée.

L’auteure conclut, sur l’air de « My way » de Sinatra : « Le bonheur n’est pas dans une plénitude qui exclurait toute souffrance, mais dans l’assentiment que l’on donne à son existence, telle qu’elle est. »

S 3-3Éditions de l’Observatoire, 160 pages, 19€

Essai / Document

« Ces hommes qui m’expliquent la vie » de Rebecca Solnit

147241_couverture_Hres_0C’est une discussion récente sur le « mansplaining » (ou en français : « mecsplication ») qui m’a fait sortir ce livre de ma pile à lire, où il m’attendait depuis plusieurs mois, conseillé par l’une de mes collègues. Le « mansplaining », ce sont les situations où un homme explique à une femme, de manière condescendante, un sujet dont elle est elle-même experte. Même si l’auteure de ce livre indique ne pas être la créatrice de la notion, elle en est bien l’inspiratrice.

« Au cas où je n’aurais pas été assez claire, je le dis et le répète : j’aime qu’on m’explique des choses, qu’on me parle de sujets qui m’intéressent mais dont j’ignore tout ; c’est quand ils m’expliquent ce que je sais et eux non que la conversation dérape ».

Ce livre est un recueil d’articles féministes écrits il y a 10-15 ans, qui vont au-delà du « mansplaining », et restent hélas d’actualité – même si j’ai pris conscience en lisant ces articles de tout le chemin parcouru en dix ans dans la libération de la parole et la définition des frontières de ce qui n’est plus tolérable.

J’ai apprécié, dès les premières pages, qu’il n’y ait pas de caricature, et que le discours ne soit pas basiquement « anti-mecs ». Au contraire, l’auteure fait très bien la distinction entre le bon grain et l’ivraie. Dire que la très grande majorité des violences (agressions, viols) est commise par des hommes n’est pas la même chose que de dire que tous les hommes sont des agresseurs.

« Nous sommes libres ensemble ou esclaves ensemble »

est une phrase que n’aurait pas reniée mon prof de philo dans nos cours sur la liberté.

Mariage pour tous, affaire Strauss-Kahn, Virginia Woolf… sont autant de thématiques abordées. Arrêtez-vous aussi sur les paragraphes où l’auteure explique comment les mots peuvent changer la donne.

« La violence domestique, la mecsplication, la culture du viol et le sexual entitlement font désormais partie des outils linguistiques qui redéfinissent le monde que doivent affronter beaucoup de femmes au quotidien, et ouvrent la voie pour commencer de le changer. ».

A noter, la version poche restitue mal les œuvres d’Ana Teresa Fernandez qui illustrent chaque début d’article.

S 3-3Points, 176 pages, 8,40€

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« L’invention de la couleur par les Lumières » d’Aurélia Gaillard

8626.1723108128Je me souviens d’un document de France Culture intitulé « Pourquoi la couleur a disparu de notre quotidien », où le designer Jean-Gabriel Causse décryptait les raisons de la disparition progressive des couleurs dans l’architecture, la mode, les biens de consommation (dont les voitures). Ce document m’est resté en mémoire, et je continue à m’intéresser au sujet. C’est pourquoi j’étais curieuse de découvrir « L’invention de la couleur par les Lumières ».

Dans cet essai, l’auteure débute par une analyse bien antérieure aux Lumières du rôle et de la perception de la couleur, d’Aristote au Moyen-Age. Elle analyse également comment l’étude scientifique de la couleur (avec les travaux de Newton) a marqué le début d’une révolution. Le vocabulaire, aussi, s’est enrichi pour rendre compte de l’infinie variété des nuances de couleurs (un lexique en fin d’ouvrage y est d’ailleurs consacré).

Le contenu est très documenté, les sources précises, et le livre fourmille d’informations intéressantes. A noter cependant, cela reste un ouvrage assez formel, de haut niveau, et donc parfois assez ardu à lire. Pour ma part, j’ai dû le reposer et le reprendre à plusieurs reprises pour « digérer » la quantité d’informations.

A ne pas manquer dans votre lecture, le chapitre consacré au rose, qui commence par une analyse lexicale, et fait ensuite (évidemment !) référence aux travaux de Michel Pastoureau (que je cite très souvent sur cette thématique du rose, et du « genre » du rose en particulier).

S 2-3Les Belles lettres, 330 pages, 27€ (livre reçu dans le cadre d’une opération proposée par l’éditeur)

Essai / Document

« Proust, roman familial » de Laure Murat

9782253908630-001-T« Proust m’a sauvée »

écrit l’auteure en excipit du livre.

Il faut lire les 200 pages de ce texte pour comprendre comme Laure Murat, née aristocrate d’une famille citée à plusieurs reprises dans « A la recherche du temps perdu », reniée par sa mère en raison de son homosexualité, a trouvé dans l’oeuvre de Proust des clés de décryptage de son propre contexte social et familial.

Ne vous découragez pas à la lecture du premier tiers du livre, où sont cités de nombreux membres de sa famille (avec les liens de parenté), apparemment célèbres. Cela ressemble à un Who’s Who assez indigeste, où le name dropping est assez ennuyeux pour qui ne connaît pas l’arbre généalogique de l’auteure.

La suite est plus intéressante. En creusant les marqueurs de l’aristocratie, décrits par Proust et vécus par l’auteure pendant sa jeunesse, en cherchant à définir le snobisme, en analysant ses propres relations familiales, l’auteure ouvre un champ plus personnel, plus touchant. Elle propose alors un récit intime sur ses relations familiales, l’étroitesse d’esprit à laquelle elle a été confrontée en révélant son homosexualité (les passages avec sa mère sont terribles).

Le récit se recentre sur Proust dans la dernière partie, sur l’enseignement que cette professeure en fait à ses étudiants, et surtout sur son amour assumé pour une œuvre exigeante qu’elle défend contre tous les a priori. Et de conclure :

« Aucun livre de la langue française ne provoque autant de préventions et de défiances ».

On n’aurait pas dit mieux.

S 2-3Le Livre de poche, 264 pages, 8,40€

Biographie·Essai / Document

« Agir et penser comme la Reine d’Angleterre » de Dorica Lucaci

6ccf73ec2e34288f6cde38bb0e01Une fois n’est pas coutume, la recommandation de cette lecture me vient… du Guide du Routard ! L’idée étant, pour un séjour à Londres, de se plonger via la lecture dans une ambiance toute british.

Le concept du livre est le suivant : à partir d’éléments autobiographiques sur Elizabeth II (qui était encore vivante quand le livre a été publié pour la première fois), l’auteure propose quelques conseils de vie sur des thématiques variées.

Ainsi il est question, en vrac, d’éducation, de vie publique, de courage, de famille, de relation aux autres, de lâcher-prise, de couple, de dignité… n’en jetez plus !

J’ai bien aimé redécouvrir des anecdotes sur la reine Elizabeth II (même si je n’ai rien appris… moi aussi j’ai vu « The Crown »). L’idée de départ du livre (aller chercher de l’inspiration dans la vie de la monarque sans doute la plus célèbre de notre époque) est assez plaisante. Mais les conseils proposés manquent de profondeur, ce sont au mieux des conseils dignes de magazines de psychologie bas de gamme, au pire de simples lapalissades. J’ai fini par survoler les parties avec les conseils (sans intérêt) pour concentrer ma lecture sur les parties biographiques et les anecdotes.

S 2-3Editions de l’Opportun, 240 pages, 12,90€

Biographie·Essai / Document

« Voyage à Berlin – Danielle Darrieux sous l’Occupation », de Jérôme Bimbenet

tallandier-d.darieux-sous-occupation-crgSur la photo de couverture, c’est une jeune femme élégante, souriante, pleine de fraîcheur : c’est une femme amoureuse. Nous sommes en mars 1942 et Danielle Darrieux part rejoindre l’homme qu’elle aime, Porfirio Rubirosa, qui ne peut quitter Berlin.

Qui étaient les acteurs qui ont accepté de voyager en train jusqu’en Allemagne par temps de guerre ? Pourquoi ont-ils accepté ce voyage, qu’avait chacun d’entre eux à y gagner ?

Longtemps ce voyage leur a été reproché, même si Danielle Darrieux s’est toujours défendue en arguant qu’elle n’avait pour seule motivation que de retrouver son fiancé.

Faire tout un livre sur ce voyage pourrait faire craindre quelques longueurs, en particulier pour les lecteurs qui n’ont pas connu la plupart des acteurs cités (ce qui est mon cas). Pourtant le livre va bien au-delà du voyage de Danielle Darrieux et raconte une tranche de l’histoire du cinéma français.

Si l’auteur du livre semble un admirateur sincère de Danielle Darrieux, il n’est pas un admirateur aveugle et s’étonne – voire s’agace – des réponses un peu naïves de l’actrice lorsqu’elle a été interrogée sur certains épisodes de cette période. L’auteur ne juge pas, n’accuse pas, il souligne des faits et raconte des situations qui mettent le lecteur mal à l’aise – amoureuse, ambitieuse, mais aveugle à quel point ?

Derrière l’actrice, il y a aussi le portrait d’une époque, les écarts de traitement entre le milieu du cinéma et le reste de la population. J’ai trouvé très instructif de voir cette période historique traitée sous un angle très spécial (celui du cinéma français et des vedettes de l’époque), entre insouciance, ambitions personnelles, et œillères souvent difficiles à défendre.

S 2-3Tallandier, 297 pages, 21,50€

Essai / Document

« Agriculteurs – Témoignages 1900-2023 », réunis et présentés par Hélène Parisot

9791090566590.MAIN_L’Association pour l’autobiographie et le Patrimoine Autobiographique (APA) collecte et conserve toutes sortes d’écrits personnels (journaux intimes, correspondances etc). C’est dans ses locaux, à Ambérieu-en-Bugey, que l’auteure a consulté, rassemblé, coordonné et commenté les récits de huit agriculteurs. Chacun, à travers son histoire familiale et personnelle, raconte un pan de la transformation de l’agriculture qui s’est opérée en France depuis plus d’un siècle. Les textes sont assez courts (les passages ont été sélectionnés), mais condensent l’essentiel des messages que chacun veut porter : sa vision de la principale transformation qui a eu un impact sur l’exploitation familiale, ses envies et ses renoncements face à une agriculture qui évolue à toute vitesse, les paradoxes du monde agricole.

Les témoignages montrent parfois une vision désabusée de l’agriculture (ou du moins : du système agricole des dernières décennies), mais toujours un amour du métier qui vient souvent de l’enfance et d’un enracinement régional. L’introduction de chaque témoignage permet de comprendre le contexte autour du récit sélectionné. La préface d’Hélène Parisot, ainsi que l’entretien avec un agriculteur de 2023, permettent aussi de mieux cerner la démarche de rassemblement de ces textes.

Nul besoin d’être un expert du monde agricole, ni d’avoir le projet de reprendre une exploitation : le livre s’adresse à un large public qui s’intéresse tout simplement à l’évolution d’une profession souvent méprisée, quoique indispensable.

S 3-3Ed Mauconduit, 144 pages, 13€. Reçu dans le cadre d’une « masse critique ».

Essai / Document

« Frida Kahlo, au-delà des apparences » (catalogue de l’exposition) 

81433_xlAujourd’hui se termine l’exposition « Frida Kahlo, au-delà des apparences » au Palais Galliera. Les réservations étaient complètes depuis 4 semaines, j’avais la chance d’avoir mon billet depuis longtemps et d’avoir pu y aller il y a quelques jours.

Je connais déjà assez bien la vie et l’oeuvre de cette artiste mexicaine iconique, donc je n’ai pas découvert grand-chose via les (nombreuses) photos et (quelques) tableaux exposés. En revanche, la présentation d’objets plus personnels, retrouvés dans la « Casa Azul », sa maison bleue, est très émouvante : j’ai été très sensible en particulier à la présentation de ses corsets (dont l’un en plâtre), sa prothèse de jambe, ses chaussures à talon renforcé. Son passeport, un télégramme en français, quelques lettres, sont des pièces plus anecdotiques mais qu’il est toujours plaisant de découvrir.

Je suis (évidemment!) ressortie avec le catalogue de l’exposition. C’est une très bonne surprise, car il reprend certes des photos de pièces de l’exposition, mais il va bien au-delà et propose des textes sur plusieurs thématiques : « La construction de l’identité de Frida Kahlo : handicap, ethnicité et vêtements » ; « Frida Kahlo : poser, composer, exposer » ; « Frida à Paris. Ne jamais passer inaperçue dans la vie » entre autres articles…

Même si vous n’avez pas vu l’exposition, le catalogue est passionnant si vous voulez aller encore plus à la rencontre de cette artiste hors-norme.

S 3-3Paris-Musées, 42€

Essai / Document·Poésie

« La Terre, c’est… » par 120 autrices et auteurs ; textes illustrés par Jack Koch

9782265156012ORICe recueil est un petit bijou de poésie !

Sur le thème « La Terre, c’est… », 120 autrices et auteurs ont écrit un court texte, de quelques lignes à une page.

Certains textes rendent un hommage à la Terre nourricière, à la Terre protectrice, quand d’autres textes nous alertent sur les dégâts que nous causons à notre planète. Au fil des pages, on découvre des textes qui font sourire ou réfléchir, des petites histoires ou parfois des réflexions profondes semées comme des petites graines en quelques mots simples. J’ai adoré ce livre, que j’ai lu par petites touches, en piochant mes lectures au hasard, comme je le fais avec les recueils de poésie.

Chaque texte est joliment illustré par Jack Koch, à travers des illustrations tout aussi poétiques que les textes.

Foncez les yeux fermés sur ce recueil qui contient de jolies pépites. C’est aussi une bonne idée de cadeau à faire. En plus, 1,5€ est reversé sur chaque vente par l’éditeur à l’association « Le Rire médecin », qui apporte de la bonne humeur aux enfants hospitalisés. Une autre bonne raison de ne pas hésiter à offrir ou s’offrir ce livre !

S 3-3Fleuve éditions, 272 pages, 17,90€ dont 1,5€ reversé au « Rire médecin »