Essai / Document

« Toutes les époques sont dégueulasses » de Laure Murat

Capture d’écran 2025-06-27 173649C’est le titre, d’abord, qui m’a interpellée en écoutant un podcast de France Culture où l’auteure était invitée (sans avoir noté au départ que j’avais déjà lu un autre livre de la même auteure…). Le titre est repris d’une citation d’Antonin Artaud de 1925 : « C’est en ce moment pour moi une sale époque, toutes les époques d’ailleurs sont dégueulasses dans l’état où je suis ». Laure Murat s’en inspire pour parler d’un phénomène de plus en plus courant qui consiste à vouloir récrire les classiques, changer un titre, retirer d’un roman une phrase qui dérange.

Quels sont les vrais enjeux qui se cachent derrière cette démarche ? Est-ce uniquement pour ne pas blesser, ou y a-t-il des raisons cachées ?

Dans un tout petit ouvrage de 75 pages, Laure Murat propose son analyse sur la base d’exemples connus du grand public (Hergé, Agatha Christie, Ian Fleming…). Elle redonne à chaque fois le contexte, explique la polémique, donne son point de vue. On comprend vite que l’auteure est opposée à ces nouvelles versions, et elle explique dans chaque cas ses arguments.

Souvent, dans les essais trop longs, je trouve le message délayé, une bonne idée de départ étant trop souvent étirée sur de longs chapitres qui finissent par atténuer le message à force de l’enrober. Ici le propos est clair, concis, on ne demande pas plus. L’auteure donne des clés d’analyse au lecteur, qui pourra se faire sa propre opinion.

S 3-3Verdier, 75 pages, 7,50€

Essai / Document

« Proust, roman familial » de Laure Murat

9782253908630-001-T« Proust m’a sauvée »

écrit l’auteure en excipit du livre.

Il faut lire les 200 pages de ce texte pour comprendre comme Laure Murat, née aristocrate d’une famille citée à plusieurs reprises dans « A la recherche du temps perdu », reniée par sa mère en raison de son homosexualité, a trouvé dans l’oeuvre de Proust des clés de décryptage de son propre contexte social et familial.

Ne vous découragez pas à la lecture du premier tiers du livre, où sont cités de nombreux membres de sa famille (avec les liens de parenté), apparemment célèbres. Cela ressemble à un Who’s Who assez indigeste, où le name dropping est assez ennuyeux pour qui ne connaît pas l’arbre généalogique de l’auteure.

La suite est plus intéressante. En creusant les marqueurs de l’aristocratie, décrits par Proust et vécus par l’auteure pendant sa jeunesse, en cherchant à définir le snobisme, en analysant ses propres relations familiales, l’auteure ouvre un champ plus personnel, plus touchant. Elle propose alors un récit intime sur ses relations familiales, l’étroitesse d’esprit à laquelle elle a été confrontée en révélant son homosexualité (les passages avec sa mère sont terribles).

Le récit se recentre sur Proust dans la dernière partie, sur l’enseignement que cette professeure en fait à ses étudiants, et surtout sur son amour assumé pour une œuvre exigeante qu’elle défend contre tous les a priori. Et de conclure :

« Aucun livre de la langue française ne provoque autant de préventions et de défiances ».

On n’aurait pas dit mieux.

S 2-3Le Livre de poche, 264 pages, 8,40€