Roman

«A propos d’un thug» de Tabish Khair

thugCe livre fait partie de mes découvertes de cette années au Salon du Livre de Paris. J’y ai en effet découvert Les éditions du sonneur et leurs publications particulièrement originales (romans étrangers, auteurs vivants ou morts, connus ou inconnus du grand public…). Et ce n’est pas seulement parce que leur emblème est une grenouille (en réalité un crapaud sonneur stylisé) que je me suis intéressée à leurs ouvrages. Leur équipe est passionnée et défend ses livres avec conviction et enthousiasme, racontant aux lecteurs curieux non pas l’histoire de chaque livre, mais sa forme, son originalité, le style de l’auteur et ce qui le différencie.

« A propos d’un thug » est un roman totalement à part, que l’on ne peut trouver que dans une maison d’édition comme celle-ci.

L’histoire tout d’abord ne ressemble à aucune autre que j’aie lue jusqu’ici. A Londres, au XIXème siècle, le riche Lord Batterstone collectionne les crânes humains, étudiant le lien entre la forme des crânes et le comportement des individus (pour être précise, cela s’appelle de la phrénologie). Il paie pour cela des détrousseurs de cimetières, qui n’hésitent pas à piller des tombes pour en extraire les spécimens de crânes les plus originaux. Pour lui trouver des crânes toujours plus sensationnels, ses hommes de main vont avoir recours à des techniques de plus en plus horribles, allant jusqu’au meurtre.

La population londonienne s’horrifie de ces meurtres avec décapitation, et les soupçons se portent rapidement sur un thug, le protégé du capitaine William Meadows.

Si le roman donne l’occasion de découvrir les rites des thugs, membres d’une secte indienne particulièrement meurtrière, l’homme qui fait l’objet de toutes les accusations aurait aussi bien pu être le représentant de n’importe quelle minorité, que la société bien-pensante de l’Angleterre du XIXème siècle aurait de toute façon transformé en coupable idéal.

Je dois dire que j’ai été très déboussolée par cette lecture. Tout d’abord, ce n’est que vers la centième page du roman (qui en compte moins de trois cents) que j’ai commencé à articuler les différentes formes de récit qui composent le roman, et à identifier avec précision le rôle et les penchants de chacun des protagonistes. Le récit est exigeant, mêlant des narrateurs mystérieux – dont d’ailleurs on ne saura pas tout, le passé de chacun étant évoqué avec des références qu’il appartiendra au lecteur de compléter par son imagination. Entre étude ethnologique et récit romancé, difficile de démêler le vrai du faux, l’historique de l’imaginaire. C’est troublant, et au final aussi passionnant que dérangeant. Plusieurs scènes particulièrement écœurantes, comme la préparation des crânes, ne doivent pas faire perdre de vue l’essentiel. Dans ce roman particulièrement masculin (le collectionneur, le thug, le capitaine qui le protège, l’homme de main et ses acolytes…), l’histoire et la science ont rendez-vous avec la sociologie et l’humanisme, dans un amalgame qui interpelle aussi les lecteurs du XXIème siècle.

S 2-3Les Editions du sonneur, 288 pages, 20€

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