BD

« It’s lonely at the centre of the earth » de Zoe Thorogood

Depuis l’enfance, Zoe est dépressive. Suicidaire, même. Elle se déprécie sans cesse. Elle a du mal avec les relations humaines.

Mais de tout cela, Zoe décide de faire un livre. Roman graphique, entre le comics et l’autobiographie, le résultat est un OVNI.


Zoe Thorogood joue avec les styles, alterne couleur et noir & blanc. On trouve même une photo en double page. Ses personnages ont des têtes d’animaux, elle-même arbore parfois un masque à la place de son visage. Sa dépression est personnifiée par un grand personnage sombre et sournois.


Le pitch m’avait séduite (à savoir : comment une artiste transforme son mal être en art). J’ai suivi aussi le conseil d’une bibliothécaire aux goûts très sûrs. Pourtant je n’ai pas réussi à accrocher, perdue dans une œuvre un peu trop décousue pour moi.

Hi Comics, 203 pages, 27,95€

BD

« Astérix en Lusitanie » de Conrad et Fabcaro

Fidèle au rendez-vous, j’ai évidemment acheté le dernier album d’Astérix dès sa sortie. Vous allez voir des centaines de chroniques sur cet album. Que dire de plus ?

Mon histoire avec Astérix, peut-être ? J’ai grandi avec 5 ou 6 albums que je relisais et relisais sans fin, jusqu’à connaître par coeur les répliques et même les défauts d’impression. Ce n’était pas mon héros préféré (à l’époque je lisais surtout Tintin, oui, désolée pour les fans). Plus tard, j’ai découvert ceux que je n’avais pas, j’ai eu quelques coups de coeur, et à aujourd’hui je relis toujours les mêmes. Il y a des tomes, aussi, qui parlent d’un moment de ma vie, et je me souviens quand on me les a offerts.

C’est ça, avant tout, acheter un album d’Astérix : faire revivre des souvenirs, cultiver une ambiance, parler d’un temps que les moins de 20 ans ne peuvent pas connaître.

Et ce cru 2025, alors ?

J’ai toujours du mal à me faire un avis sur un album d’Astérix à la première lecture. C’est un peu comme le bon vin, parfois il vaut mieux le laisser vieillir un peu. Il y a beaucoup (mais vraiment, beaucoup) de références à d’autres albums : Boulquiès le personnage principal, lusitanien rencontré dans « Le Domaine des dieux » ; le garum Lupus, au coeur de l’intrigue, est une référence à « Astérix et la Transitalique » ; Obélix révise les pas de danse appris dans « Astérix en Hispanie » ; et on retrouve Epidemaïs, le navigateur phénicien, croisé plusieurs fois depuis « Astérix gladiateur », etc etc, n’en jetez plus (si vous avez la ref, bravo). C’est donc à la fois une lecture « rassurante » qui reprend les codes habituels (à part Baba qui désormais prononce les « r », seule vraie nouveauté de l’album). Mais justement, il manque peut-être, pour moi, un peu plus de créativité, qui nous aurait, nous lecteurs habituels, un peu désarçonnés sans doute à la première lecture, mais qui aurait aidé l’album à sortir du lot. Enfin, seul l’avenir sera juge et nous dira ce qui passera à la postérité voire au vocabulaire courant.

Les éditions Albert René, 48 pages, 10,90€

BD·Biographie

« La dernière nuit d’Anne Bonny » de Claire Richard et Alvaro Ramirez

Une histoire de pirate ? Oui, mais ce pirate-là est une femme !

Élevée dans la campagne irlandaise, assoiffée de liberté, Anne sera pirate et amante du capitaine, à une époque où les femmes n’étaient pas les bienvenues sur un bateau. Au soir de sa vie, alors que la mort s’invite dans le bordel qu’elle tient maintenant d’une main de fer, Anne Bonny décide de dicter ses mémoires et de rétablir sa vérité, n’en déplaise au biographe qui avait fait son portrait lors de son procès.

L’histoire est passionnante, rythmée comme un quotidien de pirate qui navigue d’île en île. Entre sa vie de pirate et celle de tenancière sans scrupule de maison close, difficile de trouver le personnage d’Anne Bonny sympathique, loin de là ! Mais on ne peut qu’admirer le courage dont elle a su faire preuve pour s’émanciper.

J’ai bien aimé aussi les apartés dans le récit, où deux historiens débattent de la véracité du récit, des interprétations possibles, et plus globalement du rapport des historiens aux archives dont ils disposent.

C’est une BD intéressante, documentée, avec des illustrations soignées, qui permet de découvrir un personnage au tempérament fort et indépendant.

Le Lombard, 160 pages, 22,95€

BD

« Arsène Lupin contre Sherlock Holmes (tome 2) » de Félix, Janolle et Delf

Capture d’écran 2025-07-18 164551Aussitôt le premier tome fini, j’ai commencé la lecture du second, dans lequel se poursuit de manière encore plus rapprochée l’opposition entre Lupin et Holmes.

Les masques tombent peu à peu autour des deux femmes héritières d’un homme qui se prétendait alchimiste. Car si leur grand-père avait des pots remplis d’or, cela a forcément attiré des convoitises. Il faudra toute l’intelligence de Lupin (clairement mieux mis en avant que Holmes) pour comprendre les tenants et aboutissants de cette intrigue.

Je ne suis pas une très grande fan des romans de Sherlock Holmes (j’aime souvent mieux les adaptations récentes), bien que « L’Aiguille creuse », le premier que j’ai lu, soit un bon souvenir. Cette BD-ci est inspirée de « La Barre y va » et je dois dire que l’adaptation donne envie de lire l’original. Il faudra juste que j’attende un peu d’avoir oublié le dénouement pour profiter pleinement de cette lecture.

Quant à Holmes, battu mais mais vaincu, il n’abattra sa meilleure carte qu’au dernier moment, ce qui fait de cette BD une histoire bien construite, superbement dessinée, avec toujours des décors et des détails maîtrisés.

S 3-3Grand angle, 56 pages, 14,90€

BD

« Arsène Lupin contre Sherlock Holmes (tome 1) » de Félix, Janolle et Delf

Capture d’écran 2025-07-17 195257Ma première impression quand j’ai vu cette BD basée sur la rencontre de deux « monstres » de la littérature a d’abord été : ok, Lupin, Holmes, c’est vendeur, mais est-ce que ce n’est pas juste un coup marketing ? Est-ce que ce n’est pas un prétexte de coller deux noms aussi connus dans une histoire qui n’aura peut-être rien à voir avec leurs aventures initiales ?

Puis la curiosité l’a emportée… les deux tomes étaient là, je n’avais qu’à leur consacrer quelques instants de lecture… ça m’a intriguée.

Je dois dire que je suis agréablement surprise en refermant le premier tome. D’abord les dessins sont bien réalisés, les maisons normandes (intérieur et extérieur) sont magnifiques, la grotte de recherche restitue une ambiance un peu mystérieuse. Je me suis vite plongée dans la bulle de l’histoire. Et puis, contrairement à ma crainte initiale, l’hommage aux deux héros de la littérature est fait avec élégance. Chacun est représenté avec les attributs qu’on s’attend à lui voir porter, chacun a les traits de caractère que la mémoire collective a retenu d’eux. Lupin est parfait en « gentleman cambrioleur », à mon sens il est le plus réussi des deux personnages ; quant à Holmes, il est dans une semi-retraite qui ne l’empêche pas de s’intéresser aux derniers exploits de Lupin.

Dans ce premier tome, les pierres sont posées : Lupin, sous les traits d’un mathématicien de génie, s’intéresse à une mystérieuse formule qui pourrait bien être la clé des recherches d’un alchimiste ; quant à Holmes, il s’est juré de piéger Lupin – et je ne vous en dis pas plus…

La BD se lit très vite, et je vous conseille vivement d’avoir le deuxième tome à portée de main car le premier s’achève en plein cœur de l’intrigue. Impossible de ne pas poursuivre immédiatement avec la lecture du second volet…

S 3-3Grand Angle, 56 pages, 14,90€

BD·Biographie

« Pour une fraction de seconde » de Guy Delisle

9782413085850-001-XJ’aime les grands destins. Ceux qui inspirent. Les destins des visionnaires, des rebelles, de ceux qui étaient parfois incompris à leur époque et qui pourtant ont créé une révolution, quelle qu’en soit la nature.

Je ne connaissais rien d’Eadweard Muybridge, mais j’ai adoré le récit de sa vie dans cette BD. Je n’attendais pas Guy Delisle dans ce registre, mais le résultat est réussi.

Eadweard Muybridge est un génial inventeur de la seconde moitié du dix-neuvième siècle. Il a en particulier travaillé toute sa vie sur la photographie, et plus précisément sur une quête permanente de l’image parfaite. Je n’aurais jamais imaginé que réaliser la photo d’un cheval au galop, pour démontrer que l’animal quitte par moment complètement le sol, puisse être la quête de (presque) toute une vie. Pourtant je me suis laissée porter par l’histoire et j’ai suivi avec grand intérêt les essais et les recherches de Muybridge.

Et quelle bonne idée d’avoir reproduit certaines de ses photos ! Bien loin de casser le rythme du récit, cela apporte au contraire une émotion supplémentaire, un rappel que toute cette histoire (parfois rocambolesque) a été bien réelle.

Inventeur génial, esprit un peu fou, meurtrier aussi, Muybridge se révèle être un personnage haut en couleurs. On croise aussi dans cette BD d’autres inventeurs célèbres (Edison, Tesla…), ce qui donne au lecteur des repères sur le contexte des recherches de l’époque. C’est passionnant !

Pour l’anecdote, le directeur de la collection Shampooing dans laquelle est publiée cette BD n’est autre que… Lewis Trondheim.

S 3-3Editions Delcourt, 208 pages, 24,50€

BD

« Bohème à Paris » d’Andi Watson et Simon Gane

Capture d’écran 2025-05-04 181634L’une est Américaine, l’autre Anglaise.

La première est artiste peintre, la deuxième est une jeune fille de bonne famille, prête à être mariée.

Toutes deux se rencontrent dans le Paris des années 1950. Juliet, l’artiste américaine, doit réaliser le portrait de Deborah. Toutes deux partagent un amour de l’art, et très vite elles développent des sentiments l’une pour l’autre, bien que tout les oppose en apparence.

C’est une agréable bande dessinée qui rend hommage au Paris artistique, et qui emmène le lecteur dans les caves de Saint Germain des Prés, devant les œuvres du Louvre ou encore à Belleville.

Le trait est atypique mais assez original (même si les visages de certains personnages sont bizarres – pauvre Georges !). Le choix du noir et blanc en bande dessinée me déroute toujours un peu (je préfère les BD en couleur), puis finalement j’ai pris ce choix comme un parallèle avec un vieux film en noir et blanc des années 1950. Cela m’a mise dans l’ambiance ! Mais en réalité l’histoire pourrait se dérouler à plusieurs époques, y compris de nos jours. L’intrigue est assez classique, mais j’ai aimé l’ambiance de la BD à travers différents clins d’oeil à des quartiers emblématiques de Paris.

S 3-3Locus Solus, 144 pages N&B, 22€. BD reçue dans le cadre d’une « Masse critique ».

BD

« La maison du péril », adaptation BD par Frédéric Brrémaud et Alberto Zanon, d’après Agatha Christie

Capture d’écran 2025-02-16 102649J’étais impatiente de découvrir cette nouvelle adaptation en BD d’un roman d’Agatha Christie, dans la collection désormais bien fournie des éditions Paquet.

Plusieurs auteurs et illustrateurs contribuent à cette collection, mais j’ai reconnu dans « La maison du péril » les personnages tels qu’ils sont croqués dans d’autres tomes – j’étais donc dans un univers familier, même si la première fois je n’avais pas complètement aimé certains visages ni le style d’Hercule Poirot.

L’histoire est celle de Nick Buckley, une jeune femme désargentée propriétaire d’une demeure qui tombe en ruines ; alors qu’Hercule Poirot séjourne à proximité, il est témoin d’une tentative d’assassinat sur la jeune femme. Celle-ci lui explique alors que plusieurs autres incidents similaires ont eu lieu les jours précédents. Il n’en faut pas plus au détective belge pour s’intéresser à ces agressions, et tenter de sauver Nick.

L’histoire est bien adaptée, les personnages tous bien identifiables, et le récit progresse au fil des fausses pistes et des découvertes. J’avais pressenti le dénouement, peut-être plus facilement que cela n’aurait été le cas dans le roman originel (j’ai lu le roman, mais comme souvent je mélange un peu les histoires de Poirot et donc je n’en garde pas de souvenir précis).

J’ai beaucoup aimé aussi les décors et les couleurs, en particulier la maison (et le bureau bibliothèque!). Ils restituent bien l’ambiance à laquelle on s’attend quand Poirot enquête en Angleterre. Bref, c’est un bon tome de la série !

S 3-3Paquet, 64 pages, 16,50€

BD

« Le passage » de Benoît Vieillard

le_passage_cover-05631Nantes, 1837. Un notaire et un restaurateur ont tous deux de grandes idées pour transformer l’insalubre rue de la Fosse, et y faire déboucher un passage d’un nouveau genre. Au lieu de s’opposer, ils décident de s’unir, lèvent des fonds, et se lancent dans un investissement faramineux. On suit ainsi, au fil des pages, la création et la transformation du célèbre passage Pommeraye.

Si le livre a le format d’une bande dessinée, chaque double page est un plan en coupe de l’une ou l’autre des entrées du passage. Il y a un fil rouge de page en page, mais on peut s’attarder aussi sur les multiples détails, la vie aux différents étages des immeubles, la chocolaterie, la boucherie, l’hôtel…

L’angle de vue est vraiment intéressant, et plus original que si l’histoire avait été racontée via de classiques vignettes. Il fait réfléchir le lecteur sur la mémoire des lieux, sur ce que chacun y laisse, et sur l’évolution d’un endroit très fréquenté, que les passants traversent sans s’interroger. Si l’on ne connaît pas ce passage nantais, ce livre donne très envie d’aller y flâner et d’y chercher l’âme des esprits visionnaires qui l’on façonné, et de ceux qui ont continué, au fil des décennies, à y insuffler de la vie.

S 3-3Ed. Ouest France, 88 pages, 21€

BD

« Celle qui parle » d’Alicia Jaraba

Capture d’écran 2025-01-15 160345En 2024, j’ai vu au Musée du Quai Branly une exposition dédiée aux Mexicas, dont je garde un souvenir assez marquant. J’avais alors noté de lire cette bande dessinée, dans laquelle j’ai découvert une figure emblématique de l’Amérique centrale du XVIème siècle, dans cette zone qui deviendra le Mexique, et qui était alors habitée par des peuples opposés, voire ennemis.

Malinalli est la fille d’un chef de tribu, mais depuis le décès de celui-ci la vie du clan n’est plus la même pour elle. Entre les membres du clan qui sont vendus comme esclaves, ceux qui sont livrés pour des sacrifices humains, et la crainte permanente des exactions du peuple mexica, le quotidien de Malinalli est souvent celui d’une jeune fille qui se cache, encore, toujours. L’arrivée de conquistadors espagnols (dont Hernan Cortez, figure emblématique de cette époque) donne à Malinalli une opportunité qui pourrait aussi faire d’elle une traîtresse : elle va devenir la traductrice officielle entre les peuples.

Cette bande dessinée est particulièrement originale, en cela qu’elle traite d’une époque et d’un personnage féminin peu présents dans la littérature. Malinalli, à propos de laquelle nous sont parvenus peu de récits (et aucun d’elle directement, rappelons si nécessaire que les femmes à cette époque n’avaient pas le droit de s’exprimer), est un personnage féminin qui apparaît très moderne. Elle est à la fois prisonnière des traditions et des usages de son clan, et en même temps possède une certaine instruction (celle de la connaissance des plantes, que lui a transmise sa grand-mère ; celle des langues aussi) et surtout une indépendance d’esprit peu commune. Elle est souvent nommée comme étant « celle qui parle » et la bande dessinée fait la part belle à son rôle essentiel dans les échanges qui eurent lieu entre les Espagnols et différents peuples autochtones.

Quelle est la part historique, quelle est la part de fiction ? L’essentiel est la mise en avant d’une figure féminine trop oubliée de l’Histoire, dans un ouvrage très bien réalisé, où les regards sont expressifs, où l’enchaînement des cases reproduit bien les variations de rythme du récit (les temps apaisés à la rivière vs les moments de fuite, par exemple).

Dans un court texte en fin d’ouvrage, l’auteure explique avoir cherché à rendre Malinalli  «humaine ». Qu’elle se rassure, ce souhait est réalisé.

S 3-3Grand Angle, 216 pages, 24,90€