Essai / Document

« La fabrique du suspense » de Michel Bussi

cdab82b92031363432363735393432333737313837J’ai lu quasiment tous les romans (adultes) de Michel Bussi, et depuis « Nymphéas noirs » j’admire sa capacité à promener des lecteurs dans un récit parfois déstabilisant, mais qui offre toujours une fin réaliste – ce que l’on appelle le « twist ».

Dans cet ouvrage écrit par Michel Bussi, je suis entrée dans les coulisses de son écriture, avec l’impression de lever une partie du voile de la création de romans que j’ai tellement aimé lire.

Le livre donne quelques éléments sur son enfance et ses premiers pas d’écrivain (je vous conseille de lire son texte très drôle sur le 5e Evangile, écrit à l’âge de 12 ans). Il cite aussi quelques auteurs dont il apprécie les romans – et cela me fait toujours plaisir de voir Patrick Cauvin cité deux fois, après tout « Haute-Pierre » est aussi un bon roman pour les amateurs de twist ! J’ai aussi beaucoup aimé les explications très claires sur le twist et les différentes manières de créer du suspense. J’ai replongé avec plaisir dans tous les grands romans de l’auteur, auxquels il fait largement référence et en explique les « trucs » de construction. Attention pour ceux qui ne les ont pas lus, respectez bien les signes qui marquent les spoilers, car l’auteur dévoile toutes ses fins – et ce serait tellement dommage de les découvrir ainsi.

Au passage, l’auteur donne son avis sur ce qu’est un bon livre, et casse les préjugés sur la « Littérature » avec un grand L – et je suis bien d’accord avec lui, moi qui ai lu et aimé plein de « classiques » (Zola, Hugo etc etc) et aime beaucoup me détendre avec des livres plus légers et peut-être plus accessibles – et qu’importe ! J’aime lire et je lis de tout sans préjugé.

Pour l’instant les autres livres de cette collection « Secrets d’écriture » ne me disent rien, mais en revanche je relirai certainement celui-ci.

S 3-3Le Robert / Presses de la cité, 176 pages, 14,90€

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« Relire, repenser Proust » de Kazuyoshi Yoshikawa

Relire-repenser-ProustSous titré « Leçons tirées d’une nouvelle traduction japonaise de La Recherche », ce livre est la retranscription d’un cycle de quatre conférences prévues pour le Collège de France, et qui a été interrompu dès la première en raison du premier confinement en 2020.

Je ne suis pas une spécialiste de Proust, je n’ai même pas lu l’intégralité de « La Recherche ». Mais j’étais très curieuse de voir comment Kazuyoshi Yoshikawa, « expert » japonais de Proust, avait abordé ce texte si emblématique de la littérature française.

Toute la première conférence est absolument passionnante, pour comprendre comment Kazuyoshi Yoshikawa a traduit certains mots en japonais, et les recherches minutieuses et rigoureuses qu’il a menées et qui s’apparentent parfois à de véritables petites enquêtes. Les trois autres conférences abordent des thèmes plus spécifiques.

L’ensemble de l’ouvrage est intéressant, j’ai trouvé la lecture abordable même sans connaître en détail tous les tomes de « La Recherche » (mais il faut quand même en connaître les grands personnages).

S 2-3Collège de France

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« Trois mois sous silence » de Judith Aquien

9782228928304Il y a des livres qui sont d’autant plus nécessaires, indispensables, qu’ils abordent des sujets qui ne sont pas ou peu abordés par ailleurs. C’est le cas de ce livre, dont le sous-titre est « Le tabou de la condition des femmes en début de grossesse ». Son auteure aborde cette période particulière du début de grossesse, qui est à la fois une période de grands bouleversements (physiques et autres), et paradoxalement une période vécue « sous silence ». Peu de femmes annoncent leur grossesse avant la fin du premier trimestre, ce qui leur fait vivre dans une certaine solitude ces quelques mois pourtant fatigants et qui nécessiteraient déjà une bienveillance et une adaptation de la société autour de la femme enceinte.

Le livre est écrit comme un coup de gueule, mais avec sérieux, en s’appuyant sur des études, des témoignages, et en faisant des propositions concrètes notamment à destination des DRH.

L’auteure pointe aussi les énormités qui sont encore dites ou écrites sur les fausses couches (ou la peur de vivre une fausse couche), sur les conseils parfois ahurissants donnés sur des sites internet pourtant de réputation « sérieuse ». Elle élargit aussi son propos, par exemple autour de la douleur (cela m’a fait penser à un excellent documentaire diffusé il y a quelques semaines sur la santé des femmes et la prise en charge médicale de celles-ci).

Tout le monde croise des femmes enceintes, dans son entourage, dans sa vie professionnelle, alors lisez ce livre, il concerne tout le monde (la grossesse est un sujet de société qui ne concerne pas que les parents).

Le livre est écrit avec justesse, avec colère mais aussi avec des petites touches d’humour pour faire quelques raisonnements par l’absurde (lisez les pages sur les « petits maux » de la grossesse !).

C’est un texte utile, à lire, à offrir, à diffuser… Pour que ces trois mois ne restent plus sous silence.

S 3-3Payot, 220 pages, 14€

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« L’Elysée à la plage » de Pierrick Geais

élysée plageVoilà un livre parfait pour l’été, pour faire un tour de France (et plus!) des vacances des Présidents de la 5e République. De la Boisserie au Cap Nègre, de Latche dans les Landes à la Côte d’Azur, chaque lieu en dit long sur le Président qui y a passé ses vacances, mais aussi sur son époque. Des vacances studieuses pour certains ou tape-à-l’oeil pour d’autres, chacun son style.

Le livre ne dévoile aucun scoop mais offre une lecture agréable et sans prétention. Les chapitres sont organisés par ordre chronologique, Président par Président, de De Gaulle à Macron. On retiendra quelques anecdotes, qui font sourire ou s’agacer.

En fil rouge, le Fort de Brégançon, lieu de villégiature présentielle par excellence, a été occupé ou délaissé, selon les époques. Sa récupération forcée par le Général de Gaulle est pour le moins étonnante ; pour le reste les anecdotes sur ce lieu sont souvent déjà connues.

Au-delà des lieux, c’est aussi la question du « droit aux vacances » de nos Présidents qui est posée. Et si l’on peut accepter qu’un Président est aussi un homme (ou un jour une femme ! ;-)) qui a besoin comme tout le monde de se ressourcer, l’époque semble bien loin où les vacances présidentielles s’étalaient du 14 juillet à la rentrée parlementaire de septembre !

S 3-3Ed du Rocher, 224 pages, 17,90€

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« Chère mamie au pays du confinement » de Virginie Grimaldi

mamie confinementSi vous suivez Virginie Grimaldi sur les réseaux sociaux, vous connaissez déjà ces petits billets d’humour, sous forme de courtes lettres adressées à sa grand-mère, qui croquent notre quotidien. Elle en déjà fait un livre, « Chère Mamie » et récidive avec une série de lettres écrites jour après jour pendant le premier confinement.

Qui d’autre que Virginie Grimaldi aurait pu croquer cette période avec autant de perspicacité, ce mélange de gravité et d’humour qui fait la « patte » de l’écriture de cette auteure, et qui est ici à son summum ? Qui d’autre qu’elle pour nous parler de l’école à la maison, des courses au drive, de la couture des masques ? Qui d’autre qu’elle pour jongler avec la peur de la maladie (elle avoue régulièrement son hypocondrie) et les petits bonheurs du quotidien ? En quelques pages bien trouvées, vous allez retrouver ce quotidien qui nous a surpris, et quelque part nous a unis dans une même stupeur. Racontés avec beaucoup d’autodérision, les petits tracas et les angoisses prennent une autre dimension, et soudain on mesure à quel point nous avons partagés un moment d’humanité.

S 3-3Fayard / Le Livre de poche, 5,50€, tous les bénéfices sont reversés à la Fondation Hôpitaux de Paris-Hôpitaux de France

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« Le mystère Tintin» de Renaud Nattiez

mystère tintinBeaucoup d’ouvrages ont déjà été publiés sur Tintin et sur son créateur Hergé. Alors d’entrée de jeu l’auteur fixe son cadre : il ne parlera quasiment pas d’Hergé, ne s’essaiera pas à une nouvelle théorie psy ni ne lancera des polémiques. Son propos est ailleurs, et vise à analyser ce qui donne le sous-titre de son essai, à savoir « les raisons d’un succès universel ».

Pourquoi Tintin est-il aussi universel ? Comment fait-il pour traverser les générations et plaire partout dans le monde ?

La première phrase du livre est aussi fascinante que déroutante : « J’ai deux familles : la mienne, et les Tintin ».

J’ai lu tous les Tintin, certains plusieurs dizaines de fois, et j’ai longtemps été capable de citer de très nombreux personnages secondaires – vous savez, selon ce petit jeu entre tintinophiles pour essayer de se piéger gentiment les uns les autres ! J’ai un peu laissé de côté la relecture des Tintin ces dernières années, mais j’ai plongé dans cet essai avec d’autant plus de plaisir que cela a été l’occasion de renouer avec l’œuvre d’Hergé par un angle différent.

La première partie du livre est celle que j’ai trouvée la plus intéressante : elle reprend les fondamentaux de l’œuvre d’Hergé, mais aussi le travail sur le rythme, la documentation etc. Bref tout ce qui fait que l’on « accroche » à ces BD sans avoir conscience du travail de construction qui est derrière. La deuxième partie s’attache à analyser davantage la structure de l’œuvre, et j’ai trouvé cette partie moins captivante, parce qu’elle est plus dans l’intellect et fait moins le lien avec mes souvenirs et mes émotions de lectrice.

J’ai quand même appris énormément sur l’œuvre – je n’avais pas exemple jamais mesuré le tournant que représentait « Tintin au Tibet » dans la série d’albums, même si je connaissais l’existence du « vrai » Tchang ami de Hergé. Le livre fourmille aussi de petites anecdotes, comme la présence de Hergé et de sa femme dans plusieurs épisodes (voir page 47 du livre pour les détails).

C’est une prise de recul sur l’ensemble d’une œuvre, avec des points communs et des différences entre albums, et surtout une progression analysée de manière très intéressante des intrigues et des personnages. Parions que tout cela vous donnera envie de rouvrir un album !

S 3-3Les impressions nouvelles, 368 pages, 22€

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«Une farouche liberté» de Gisèle Halimi

farouche libertéJe me souviens très bien comment j’ai découvert le parcours de Gisèle Halimi pour la première fois. J’étais adolescente et fréquentais avec assiduité la bibliothèque municipale ; j’y allais avec une longue liste de livres que j’avais envie de lire et qui n’y étaient jamais, alors j’en choisissais d’autres, souvent au hasard, parce qu’un titre ou une couverture avaient attiré mon attention.

Je ne me souviens plus du livre que j’avais lu, je pense que c’était « Le lait de l’oranger ». Mais je me souviens d’avoir été frappée par le parcours de cette femme, courageuse, tellement engagée, dont je découvrais les combats.

En écoutant «Une farouche liberté», j’ai retrouvé dès les premiers instants d’écoute tout ce qui avait forcé mon admiration dans le parcours de cette femme. Interrogée par Annick Cojean, Gisèle Halimi raconte – par la voix de Françoise Gillard dans la version audio – sa jeunesse, sa prise de conscience de ce qu’implique d’être une femme, les rencontres décisives de son parcours féministe (dont celui avec Simone de Beauvoir) puis les combats qu’elle a menés et son entrée en politique pour continuer à faire évoluer la cause des femmes par d’autres moyens.

C’est passionnant ! J’aurais voulu que cette écoute dure des heures, j’aurais adoré assister aux échanges entre Annick Cojean et Gisèle Halimi, et chaque question posée me donnait envie d’en poser deux autres.

Il est captivant de suivre le parcours de cette pionnière, et surtout que ce soit elle qui le raconte, qui explique les « déclics » mais aussi certaines de ses difficultés. Son récit d’un avortement raté et d’un curetage « à vif » fait froid dans le dos ; j’ai pensé à celui d’Annie Ernaux dans « L’Evénement », qui est un livre qu’on n’oublie jamais.

Françoise Gillard interprète Gisèle Halimi plus qu’elle ne lit ses propos ; elle porte avec sa voix tout l’enthousiasme et toute la révolte de l’avocate, et rend ce livre d’autant plus agréable à écouter.

Gisèle Halimi est décédée en juillet 2020, mais son témoignage doit continuer à être entendu et transmis.

S 3-3Audiolib, 3h21 d’écoute, 18,90€. L’écoute en classe de ce CD est autorisée par l’éditeur.

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« Les énigmes de l’histoire du monde » sous la direction de Jean-Christian Petitfils

énigmes histoire mondeQue vous soyez féru d’Histoire, ou que votre scolarité vous ait laissé un mauvais souvenir des dates à apprendre par cœur, ce livre vous fera passer un passionnant moment de lecture.

En effet, il compile vingt énigmes de l’Histoire du monde, chacune racontée par l’un de ses spécialistes. Autant le dire tout de suite, il y en aura pour tous les goûts, puisque le lecteur voyage de l’Atlantide jusqu’au pont de l’Alma qui fût fatal à Lady Di.

Si quelques unes de ces énigmes m’ont moins intéressée (celle sur Sébastien de Portugal, ou encore celle sur Louis II de Bavière), la plupart sont passionnantes, et rendues accessibles au plus grand nombre. Chaque énigme est retracée en une vingtaine de pages, qui situent le contexte et le point de départ de l’énigme, rappellent les différentes pistes étudiées au fil des années (ou des siècles!) et concluent avec l’état actuel des connaissances.

Parmi les auteurs, certains ferment toute possibilité de questionnement résiduel, d’autres au contraire semblent prendre plaisir à laisser ouvertes plusieurs réponses – et donc à conserver une part de mystère (ce sont ces histoires-là qui m’ont le plus plu, je le reconnais!).

Je connaissais certaines de ces énigmes (l’affaire Anastasia, le suaire de Turin, l’assassinat de Kennedy), mais j’ai aimé voyager dans l’Histoire de cette manière. Un très bon livre pour cet été !

S 3-3Perrin, 416 pages, 21€

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« Eloge du carburateur» de Matthew B. Crawford

eloge carburateurS’il y a bien une période adéquate pour prendre le temps de se poser sur la notion de travail, c’est bien celle que nous vivons actuellement. Entre ceux qui travaillent encore plus, les professionnels qui font tourner le pays au quotidien, ceux qui découvrent le télétravail… jamais le travail n’aura pris des formes aussi inédites et parfois inattendues.

Si le livre de Matthew B. Crawford aborde le travail sous un angle plus large, et notamment en analysant les métiers dits « intellectuels » face aux métiers dits « manuels », je lui ai forcément trouvé une résonance particulière en ce moment. Qui, en effet, crée le plus de valeur (au sens noble du terme) ? Qui « crée » tout court, d’ailleurs ?

L’auteur a lui-même un parcours atypique : intellectuel brillant, membre d’un « think tank », il s’est reconverti en réparateur de motos ! Il explique ainsi son parcours, et surtout l’épanouissement et le sens qu’il a trouvés dans son nouveau métier.

Je n’ai pas trouvé les idées exposées particulièrement révolutionnaires – j’ai l’impression que cela fait quand même quelques années que l’on sait qu’un diplôme ne protège pas du chômage, et que les métiers dits « manuels » comme plombier ou électricien reviennent en odeur de sainteté auprès de parents qui ont compris qu’on pouvait très bien gagner sa vie ainsi !

En revanche, j’ai trouvé particulièrement intéressante la démonstration sur le côté intellectuel souvent sous-estimé des métiers manuels, la réflexion qu’ils nécessitent et le sentiment d’aboutissement ressenti quand le travail est terminé, que le résultat fonctionne ou même qu’il laisse une empreinte de soi.

La réflexion sur le travail fait du bien en ce moment où nos équilibres professionnels traditionnels sont bouleversés, quel que soit d’ailleurs le travail exercé.

S 2-3Audiolib, 8h03 d’écoute, 21,90€

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« Un lieu à soi » de Virginia Woolf

lieu à soiLe sujet de ce livre est particulièrement original et passionnant, et part de la question suivante : pourquoi dénombre-t-on aussi peu de livres écrits par les femmes jusqu’au XIXè siècle ? La réponse de Virginie Woolf, si je peux la résumer, tient en trois principales raisons. Pour écrire, une femme doit avoir une vie (autre que celle de son foyer), 500 livres de rente par an, et surtout un lieu à soi pour écrire, qui ne soit ni une chambre ni le salon de la maison.

Si le début du livre est un peu brouillon pour moi et contient trop de digressions, le propos se resserre ensuite autour du coeur de la question. L’auteure oscille comme elle sait si bien le faire entre anecdotes légères, concrètes, issues du quotidien, et des propos très forts, très engagés, qui sonnent comme des couperets et sont un miroir tendu sur la condition des femmes :

« Un être très étrange et composite émerge alors. En imagination, elle est de la plus haute importance ; en pratique, elle est complètement insignifiante. Elle imprègne la poésie de part en part ; elle est complètement absente de l’Histoire. Elle domine la vie des rois et des conquérants dans la fiction ; dans les faits elle était l’esclave du premier garçon dont la bague, enfoncée par les parents, avait été forcée à son doigt. Quelques uns des mots les plus inspirés, quelques unes des pensées les plus profondes en littérature tombent de ses lèvres ; dans la vie réelle elle savait à peine lire, n’épelait pas deux mots et était la propriété de son mari. »

De nombreux passages du livre sont passionnants, expliquant pourquoi une femme n’aurait pas pu écrire « Guerre et paix » (à une époque où les femmes ne quittaient guère les salons), ou encore ce que le fait de gagner de l’argent a permis aux premières femmes écrivains de trouver leur légitimité : « L’argent confère de la dignité à ce qui est frivole quand impayé ».

Il y a bien quelques propos qui surprennent une lectrice de 2020, comme par l’exemple l’idée que les femmes écrivent pour les femmes, mais on mettra ça sur le compte de l’époque – le propos de Virginia Woolf était déjà très moderne et osé pour l’époque, il serait injuste et inapproprié de le trouver trop timoré un siècle plus tard.

Hommes, femmes, qui aimez la littérature, lisez ce texte !

Je vous incite aussi vivement à lire l’excellente préface de Marie Darrieussecq : non seulement elle commente le livre qu’elle a traduit, mais elle partage aussi avec nous ses hésitations de traductrice, et ses choix. Son exemple d’hésitation sur la traduction du titre « A room of one’s own » est juste passionnant !

S 3-3Folio, 240 pages, 7,50€