Essai / Document

« Proust, roman familial » de Laure Murat

9782253908630-001-T« Proust m’a sauvée »

écrit l’auteure en excipit du livre.

Il faut lire les 200 pages de ce texte pour comprendre comme Laure Murat, née aristocrate d’une famille citée à plusieurs reprises dans « A la recherche du temps perdu », reniée par sa mère en raison de son homosexualité, a trouvé dans l’oeuvre de Proust des clés de décryptage de son propre contexte social et familial.

Ne vous découragez pas à la lecture du premier tiers du livre, où sont cités de nombreux membres de sa famille (avec les liens de parenté), apparemment célèbres. Cela ressemble à un Who’s Who assez indigeste, où le name dropping est assez ennuyeux pour qui ne connaît pas l’arbre généalogique de l’auteure.

La suite est plus intéressante. En creusant les marqueurs de l’aristocratie, décrits par Proust et vécus par l’auteure pendant sa jeunesse, en cherchant à définir le snobisme, en analysant ses propres relations familiales, l’auteure ouvre un champ plus personnel, plus touchant. Elle propose alors un récit intime sur ses relations familiales, l’étroitesse d’esprit à laquelle elle a été confrontée en révélant son homosexualité (les passages avec sa mère sont terribles).

Le récit se recentre sur Proust dans la dernière partie, sur l’enseignement que cette professeure en fait à ses étudiants, et surtout sur son amour assumé pour une œuvre exigeante qu’elle défend contre tous les a priori. Et de conclure :

« Aucun livre de la langue française ne provoque autant de préventions et de défiances ».

On n’aurait pas dit mieux.

S 2-3Le Livre de poche, 264 pages, 8,40€

Nouvelles

« Les plaisirs et les jours » de Marcel Proust

Capture d’écran 2024-10-03 204337J’adore les boutiques de musée. J’y trouve toujours des ouvrages discrets, des éditions méconnues ou devenues introuvables. Je peux citer plein d’exemples, de Paul-Emile Victor à Emma Calvé, mais aujourd’hui c’est (de nouveau) de Marcel Proust que je vais vous parler. La maison de la Tante Léonie a rouvert ses portes il y a quelques mois, et si je n’ai pas pu y être le jour de l’inauguration, j’y étais quand même le premier week-end (j’ai des lubies comme ça).

Et donc, dans la boutique souvenirs, il y avait ce livre de jeunesse écrit par Proust quand il avait 25 ans, et dont je n’avais jamais entendu parler.

D’abord le livre est un bel objet en soi, une édition qualitative qui reproduit la version originale avec de nombreuses illustrations. Je ne suis plus habituée à ce style de présentation dans les livres, et j’ai aimé cet objet au charme désuet et coquet.

Sur le fond c’est un assemblage de textes très courts, souvent des portraits, avec quelques tentatives – moins réussies – d’exploration sur d’autres genres, comme la poésie. C’est amusant de retrouver d’un côté l’œil perspicace que l’on connaît de Proust pour croquer les personnages, faire ressortir leurs petits vices ou leurs petites manières ; et d’un autre côté (sans être du tout une spécialiste de Proust), je n’ai pas reconnu son style d’écriture. Les phrases sont courtes (si si, c’est vrai), sans ambages. C’est étonnant, intéressant aussi car on mesure le cheminement dans la façon d’écriture, qui évolue au fil des années. Le cœur des histoires n’est pas passionnant en lui-même, mais je suis contente que ce petit livre un peu à part dans l’œuvre de Proust, ait rejoint ma bibliothèque.

S 3-3Calmann-Lévy, 352 pages, 35€

Roman

« Clara lit Proust » de Stéphane Carlier

G08313_ClaraLitProust_CV.inddC’est difficile de lire Proust.

La première fois que j’ai essayé de lire « La Recherche », le livre m’est tombé des mains. J’ai mis des années à y revenir, et parfois il faut savoir prendre des chemins détournés, des adaptations, des hommages, pour découvrir l’œuvre initiale par petites touche et avoir envie de s’y plonger davantage.

« Clara lit Proust » donne envie de lire Proust dans le texte.

Clara est coiffeuse dans un petit salon sans envergure de province. Entre une patronne un peu fantasque et un petit ami pas très investi dans leur relation, on ne peut pas dire que l’entourage de Clara la tire vraiment vers le haut. Jusqu’au jour où l’un des clients du salon oublie un livre en partant. Et pas n’importe quel livre…

Ce roman est un joli hommage à l’œuvre de Marcel Proust, sans prétention, accessible aux lecteurs qui connaissent déjà « La Recherche », autant qu’à ceux qui n’en ont jamais lu une page.

Au passage, l’auteur égratigne un peu notre époque et ses paradoxes, dans quelques phrases savoureuses, dont celle-ci qui a forcément eu de l’écho auprès de la blogueuse littéraire que je suis :

« Elle l’a trouvé charmant, ce livre posé sur le plaid en mohair moutarde qui lui couvrait les jambes […] et en a fait une photo qu’elle a postée sur Instagram […].

Vers dix heures du soir, elle est retournée sur Instagram. Sa photo avait reçu dix « j’aime ». A titre de comparaison, son cliché le plus apprécié, celui du chat réfugié dans le sac de sport de JB avec juste la tête qui dépasse, en a obtenu cent quatre-vingt-treize. »

S 3-3Folio, 224 pages, 8,30€

Manga

« A la recherche du temps perdu », adaptation en manga par le collectif Variety Artworks d’après Marcel Proust

9782302064089-001-XMa découverte de l’œuvre de Proust est assez originale. Pour ceux qui n’ont pas suivi mes précédentes chroniques, j’avais d’abord commencé par lire le texte original, qui m’est tombé des mains et que je n’ai pas rouvert pendant des années. Puis j’ai découvert les premiers tomes de la formidable adaptation en BD par Stéphane Heuet, un petit bijou visuel qui se base sur le texte original et qui m’a donné envie de réessayer de lire Proust dans le texte. Et quand j’ai lu la chronique d’un lecteur sur cette adaptation en manga, j’ai été intriguée. Quel challenge de synthétiser toute la « Recherche » dans un manga de 384 pages ! Les éditeurs ont pris la précaution de mettre un encart au début du livre pour préciser que c’est une adaptation qui ne dispense pas de la lecture des romans, comme une première approche pour découvrir ces textes. Et c’est exactement comme ça que j’ai abordé ce livre, comme on verrait un film avant de lire le livre. Cela donne les grandes lignes, cela permet de situer les personnages, et pour le reste, allez lire le roman…

Je ne suis pas du tout une experte de Proust et n’ai pas tout lu de son œuvre. Pour ce que j’en connais, je trouve que malgré les larges coupes indispensables pour tenir dans un format court, et malgré un ordre qui me paraît modifié dans le déroulé, on retrouve bien les personnages clés, les passages incontournables, et les conclusions métaphysiques de l’auteur, son rapport au temps,… Donc cela fonctionne plutôt bien et la promesse initiale est tenue !

Une particularité de ce manga est qu’il se lit comme un livre européen et non pas dans le format japonais des mangas.

Je ne suis pas très fan des bruitages écrits et des commentaires pour préciser les attitudes des personnages, qui n’apportent pas grand-chose ici, les dessins étant déjà réussis et expressifs.

Sans forcément reprendre le texte initial comme dans la BD de Stéphane Heuet, quelques phrases incontournables (« longtemps je me suis couché de bonne heure » etc) auraient apporté la cerise sur le gâteau.

En tout cas c’est vraiment une bonne entrée en matière à mettre dans les mains de tous ceux qui n’arrivent pas à lire les romans mais sont curieux d’en découvrir l’histoire et les personnages.

S 3-3Editions Soleil, 384 pages, 8,50€

Roman

« Un amour de Swann » de Marcel Proust

swannIl y a plusieurs années, j’avais essayé de « lire Proust », un peu comme un passage obligé dans ma vie de lectrice. J’avais consciencieusement commencé « A la recherche du temps perdu » par le premier tome… et je n’en ai jamais lu d’autre, perdue dans des phrases complexes et un récit qui m’avait plutôt ennuyée.

J’ai redécouvert Proust à travers l’excellente BD de Stéphane Heuet, qui m’a donné envie de retourner vers le texte original. J’ai choisi cette fois-ci « Un amour de Swann » qui est présenté comme une parenthèse dans l’ensemble de l’œuvre. Et comme je l’avais pressenti avec la BD, le roman, assez court, s’est avéré beaucoup plus abordable – et sans doute la BD m’a aidée à l’appréhender car je connaissais déjà l’histoire.

Alors bien sûr, il y a toujours quelques phrases qui me laissent songeuse quant à leur structure :

«  Toute « nouvelle recrue » à qui les Verdurin ne pouvaient pas persuader que les soirées des gens qui n’allaient pas chez eux étaient ennuyeuses comme la pluie, se voyait immédiatement exclue ». (p43)

ou encore :

«  – comme on voit des gens incertains si le spectacle de la mer et le bruit des vagues sont délicieux, s’en convaincre ainsi que de la rare qualité de leurs goûts désintéressés, en louant cent francs par jour la chambre d’hôtel qui leur permet de les goûter. » (p160)

Mais je n’ai pas envie de limiter ma lecture à ces quelques hésitations dans ma lecture. Car il se dégage de l’ensemble du roman beaucoup de thèmes intéressants. Je connaissais bien sûr la « madeleine » et j’ai découvert que l’auteur abordait ce thème du souvenir sous d’autres angles : une petite musique, ou même le choix de certains mots qui réveillent des sensations différentes.

Deux mots sur le sujet du roman : Swann s’est entiché d’Odette de Crécy, une demi-mondaine habituée à fréquenter le salon des Verdurin. D’abord introduit dans les soirées des Verdurin, Swann détonne par sa culture et son refus de s’abaisser à des plaisanteries idiotes ou des conversations trop faciles. Il est progressivement rejeté de chez Verdurin, et rongé de jalousie par les autres fréquentations d’Odette.

Pour finir, je tiens aussi à saluer la modernité de la couverture – je suis sensible aux couvertures, et un choix trop classique m’aurait davantage effrayée.

S 3-3Folio, 384 pages, 5€

BD

« Du côté de chez Swann » de Marcel Proust, adaptation BD de Stéphane Heuet

Du côté de chez SwannLire Proust… Beaucoup s’y sont aventurés, nombreux sont ceux qui y ont renoncé. Je me souviens avoir lu un tome de la « Recherche » il y a bien longtemps – j’avoue ne plus me souvenir duquel il s’agissait. C’est une lecture que j’appréhendais, et à juste titre puisque je n’ai pas poursuivi au-delà de ce premier essai.

Alors quand j’ai découvert qu’un scénariste et illustrateur s’était attaqué au « monstre » de la littérature française en bande dessinée, je me suis dit que c’était peut-être l’occasion de me réconcilier avec cette œuvre et, enfin, de comprendre de quoi elle parle !

C’était quitte ou double. Et finalement cette lecture s’est avérée une très agréable surprise ! J’avais opté pour le premier tome de l’intégrale, regroupant trois textes (« Combray », « Un amour de Swann », « Nom de pays »). Le premier permet de se plonger dans l’univers de Proust enfant ; on y retrouve des personnages connus (même quand on connaît mal l’œuvre), comme la tante Léonie, et bien sûr l’épisode de la madeleine… Mais la partie que j’ai préférée est l’adaptation d’ « Un amour de Swann », que j’ai dévorée, et qui relate les mésaventures amoureuses de Monsieur Swann, entiché d’une « cocotte » pour qui il serait prêt à tout – y compris à faire bonne figure dans une petite société d’entre-soi bourgeois qui finira par le rejeter.

La grande réussite de cette adaptation en BD est d’avoir conservé une partie du texte original, ce qui permet de ne pas trop édulcorer l’œuvre et d’en faire découvrir l’essence même à des néophytes comme moi. Quant aux illustrations, elles sont tout simplement très réussies, à la fois colorées (je n’aime pas les BD trop sombres) et renvoyant une certaine douceur qui s’accorde très bien avec le thème des souvenirs. Elles rendent aussi certains passages plus digestes – je continue à penser que certaines phrases du texte original sont d’une grammaire douteuse, en tout cas à plusieurs reprises j’ai dû en relire certaines pour les comprendre…

J’ai découvert cette BD parce qu’un autre tome a reçu un prix France Télévisions cet été. Et quand je suis allée sur le site de l’éditeur (Delcourt) j’ai découvert que le premier tome de la série date de… 1998. Autant dire que cette adaptation ressemble (aussi) à l’œuvre d’une vie !

S 3-3Delcourt, 240 pages, 39,95€