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« Le mystère Tintin» de Renaud Nattiez

mystère tintinBeaucoup d’ouvrages ont déjà été publiés sur Tintin et sur son créateur Hergé. Alors d’entrée de jeu l’auteur fixe son cadre : il ne parlera quasiment pas d’Hergé, ne s’essaiera pas à une nouvelle théorie psy ni ne lancera des polémiques. Son propos est ailleurs, et vise à analyser ce qui donne le sous-titre de son essai, à savoir « les raisons d’un succès universel ».

Pourquoi Tintin est-il aussi universel ? Comment fait-il pour traverser les générations et plaire partout dans le monde ?

La première phrase du livre est aussi fascinante que déroutante : « J’ai deux familles : la mienne, et les Tintin ».

J’ai lu tous les Tintin, certains plusieurs dizaines de fois, et j’ai longtemps été capable de citer de très nombreux personnages secondaires – vous savez, selon ce petit jeu entre tintinophiles pour essayer de se piéger gentiment les uns les autres ! J’ai un peu laissé de côté la relecture des Tintin ces dernières années, mais j’ai plongé dans cet essai avec d’autant plus de plaisir que cela a été l’occasion de renouer avec l’œuvre d’Hergé par un angle différent.

La première partie du livre est celle que j’ai trouvée la plus intéressante : elle reprend les fondamentaux de l’œuvre d’Hergé, mais aussi le travail sur le rythme, la documentation etc. Bref tout ce qui fait que l’on « accroche » à ces BD sans avoir conscience du travail de construction qui est derrière. La deuxième partie s’attache à analyser davantage la structure de l’œuvre, et j’ai trouvé cette partie moins captivante, parce qu’elle est plus dans l’intellect et fait moins le lien avec mes souvenirs et mes émotions de lectrice.

J’ai quand même appris énormément sur l’œuvre – je n’avais pas exemple jamais mesuré le tournant que représentait « Tintin au Tibet » dans la série d’albums, même si je connaissais l’existence du « vrai » Tchang ami de Hergé. Le livre fourmille aussi de petites anecdotes, comme la présence de Hergé et de sa femme dans plusieurs épisodes (voir page 47 du livre pour les détails).

C’est une prise de recul sur l’ensemble d’une œuvre, avec des points communs et des différences entre albums, et surtout une progression analysée de manière très intéressante des intrigues et des personnages. Parions que tout cela vous donnera envie de rouvrir un album !

S 3-3Les impressions nouvelles, 368 pages, 22€

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«Une farouche liberté» de Gisèle Halimi

farouche libertéJe me souviens très bien comment j’ai découvert le parcours de Gisèle Halimi pour la première fois. J’étais adolescente et fréquentais avec assiduité la bibliothèque municipale ; j’y allais avec une longue liste de livres que j’avais envie de lire et qui n’y étaient jamais, alors j’en choisissais d’autres, souvent au hasard, parce qu’un titre ou une couverture avaient attiré mon attention.

Je ne me souviens plus du livre que j’avais lu, je pense que c’était « Le lait de l’oranger ». Mais je me souviens d’avoir été frappée par le parcours de cette femme, courageuse, tellement engagée, dont je découvrais les combats.

En écoutant «Une farouche liberté», j’ai retrouvé dès les premiers instants d’écoute tout ce qui avait forcé mon admiration dans le parcours de cette femme. Interrogée par Annick Cojean, Gisèle Halimi raconte – par la voix de Françoise Gillard dans la version audio – sa jeunesse, sa prise de conscience de ce qu’implique d’être une femme, les rencontres décisives de son parcours féministe (dont celui avec Simone de Beauvoir) puis les combats qu’elle a menés et son entrée en politique pour continuer à faire évoluer la cause des femmes par d’autres moyens.

C’est passionnant ! J’aurais voulu que cette écoute dure des heures, j’aurais adoré assister aux échanges entre Annick Cojean et Gisèle Halimi, et chaque question posée me donnait envie d’en poser deux autres.

Il est captivant de suivre le parcours de cette pionnière, et surtout que ce soit elle qui le raconte, qui explique les « déclics » mais aussi certaines de ses difficultés. Son récit d’un avortement raté et d’un curetage « à vif » fait froid dans le dos ; j’ai pensé à celui d’Annie Ernaux dans « L’Evénement », qui est un livre qu’on n’oublie jamais.

Françoise Gillard interprète Gisèle Halimi plus qu’elle ne lit ses propos ; elle porte avec sa voix tout l’enthousiasme et toute la révolte de l’avocate, et rend ce livre d’autant plus agréable à écouter.

Gisèle Halimi est décédée en juillet 2020, mais son témoignage doit continuer à être entendu et transmis.

S 3-3Audiolib, 3h21 d’écoute, 18,90€. L’écoute en classe de ce CD est autorisée par l’éditeur.

Essai / Document

« Les énigmes de l’histoire du monde » sous la direction de Jean-Christian Petitfils

énigmes histoire mondeQue vous soyez féru d’Histoire, ou que votre scolarité vous ait laissé un mauvais souvenir des dates à apprendre par cœur, ce livre vous fera passer un passionnant moment de lecture.

En effet, il compile vingt énigmes de l’Histoire du monde, chacune racontée par l’un de ses spécialistes. Autant le dire tout de suite, il y en aura pour tous les goûts, puisque le lecteur voyage de l’Atlantide jusqu’au pont de l’Alma qui fût fatal à Lady Di.

Si quelques unes de ces énigmes m’ont moins intéressée (celle sur Sébastien de Portugal, ou encore celle sur Louis II de Bavière), la plupart sont passionnantes, et rendues accessibles au plus grand nombre. Chaque énigme est retracée en une vingtaine de pages, qui situent le contexte et le point de départ de l’énigme, rappellent les différentes pistes étudiées au fil des années (ou des siècles!) et concluent avec l’état actuel des connaissances.

Parmi les auteurs, certains ferment toute possibilité de questionnement résiduel, d’autres au contraire semblent prendre plaisir à laisser ouvertes plusieurs réponses – et donc à conserver une part de mystère (ce sont ces histoires-là qui m’ont le plus plu, je le reconnais!).

Je connaissais certaines de ces énigmes (l’affaire Anastasia, le suaire de Turin, l’assassinat de Kennedy), mais j’ai aimé voyager dans l’Histoire de cette manière. Un très bon livre pour cet été !

S 3-3Perrin, 416 pages, 21€

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« Eloge du carburateur» de Matthew B. Crawford

eloge carburateurS’il y a bien une période adéquate pour prendre le temps de se poser sur la notion de travail, c’est bien celle que nous vivons actuellement. Entre ceux qui travaillent encore plus, les professionnels qui font tourner le pays au quotidien, ceux qui découvrent le télétravail… jamais le travail n’aura pris des formes aussi inédites et parfois inattendues.

Si le livre de Matthew B. Crawford aborde le travail sous un angle plus large, et notamment en analysant les métiers dits « intellectuels » face aux métiers dits « manuels », je lui ai forcément trouvé une résonance particulière en ce moment. Qui, en effet, crée le plus de valeur (au sens noble du terme) ? Qui « crée » tout court, d’ailleurs ?

L’auteur a lui-même un parcours atypique : intellectuel brillant, membre d’un « think tank », il s’est reconverti en réparateur de motos ! Il explique ainsi son parcours, et surtout l’épanouissement et le sens qu’il a trouvés dans son nouveau métier.

Je n’ai pas trouvé les idées exposées particulièrement révolutionnaires – j’ai l’impression que cela fait quand même quelques années que l’on sait qu’un diplôme ne protège pas du chômage, et que les métiers dits « manuels » comme plombier ou électricien reviennent en odeur de sainteté auprès de parents qui ont compris qu’on pouvait très bien gagner sa vie ainsi !

En revanche, j’ai trouvé particulièrement intéressante la démonstration sur le côté intellectuel souvent sous-estimé des métiers manuels, la réflexion qu’ils nécessitent et le sentiment d’aboutissement ressenti quand le travail est terminé, que le résultat fonctionne ou même qu’il laisse une empreinte de soi.

La réflexion sur le travail fait du bien en ce moment où nos équilibres professionnels traditionnels sont bouleversés, quel que soit d’ailleurs le travail exercé.

S 2-3Audiolib, 8h03 d’écoute, 21,90€

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« Un lieu à soi » de Virginia Woolf

lieu à soiLe sujet de ce livre est particulièrement original et passionnant, et part de la question suivante : pourquoi dénombre-t-on aussi peu de livres écrits par les femmes jusqu’au XIXè siècle ? La réponse de Virginie Woolf, si je peux la résumer, tient en trois principales raisons. Pour écrire, une femme doit avoir une vie (autre que celle de son foyer), 500 livres de rente par an, et surtout un lieu à soi pour écrire, qui ne soit ni une chambre ni le salon de la maison.

Si le début du livre est un peu brouillon pour moi et contient trop de digressions, le propos se resserre ensuite autour du coeur de la question. L’auteure oscille comme elle sait si bien le faire entre anecdotes légères, concrètes, issues du quotidien, et des propos très forts, très engagés, qui sonnent comme des couperets et sont un miroir tendu sur la condition des femmes :

« Un être très étrange et composite émerge alors. En imagination, elle est de la plus haute importance ; en pratique, elle est complètement insignifiante. Elle imprègne la poésie de part en part ; elle est complètement absente de l’Histoire. Elle domine la vie des rois et des conquérants dans la fiction ; dans les faits elle était l’esclave du premier garçon dont la bague, enfoncée par les parents, avait été forcée à son doigt. Quelques uns des mots les plus inspirés, quelques unes des pensées les plus profondes en littérature tombent de ses lèvres ; dans la vie réelle elle savait à peine lire, n’épelait pas deux mots et était la propriété de son mari. »

De nombreux passages du livre sont passionnants, expliquant pourquoi une femme n’aurait pas pu écrire « Guerre et paix » (à une époque où les femmes ne quittaient guère les salons), ou encore ce que le fait de gagner de l’argent a permis aux premières femmes écrivains de trouver leur légitimité : « L’argent confère de la dignité à ce qui est frivole quand impayé ».

Il y a bien quelques propos qui surprennent une lectrice de 2020, comme par l’exemple l’idée que les femmes écrivent pour les femmes, mais on mettra ça sur le compte de l’époque – le propos de Virginia Woolf était déjà très moderne et osé pour l’époque, il serait injuste et inapproprié de le trouver trop timoré un siècle plus tard.

Hommes, femmes, qui aimez la littérature, lisez ce texte !

Je vous incite aussi vivement à lire l’excellente préface de Marie Darrieussecq : non seulement elle commente le livre qu’elle a traduit, mais elle partage aussi avec nous ses hésitations de traductrice, et ses choix. Son exemple d’hésitation sur la traduction du titre « A room of one’s own » est juste passionnant !

S 3-3Folio, 240 pages, 7,50€

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«Quoi ? Toute seule !» de Éléonore Wenger

Quoi--Toute-seule-_7853Incroyable Éléonore ! Du Vietnam à la France, cette jeune trentenaire a parcouru seule plus de 18 000 kilomètres à vélo !

Dans ce livre sous forme de carnet de route, elle raconte son épopée de l’Asie à l’Europe : les aléas du voyage (mécaniques, physiques, topographiques…), mais surtout les belles rencontres faites et l’incroyable hospitalité dont elle a bénéficié durant son périple.

Sur son vélo affectueusement surnommé Bucéphale comme le cheval d’Alexandre le Grand, elle a suscité admiration et étonnement partout où elle est passée. Tout au long des pages de ce récit, qui se lit avec la même ferveur qu’un polar dont on est impatient de découvrir les prochains rebondissements, le lecteur ressent des émotions en montagnes russes, tantôt gagné par l’énergie de la globe-trotteuse, tantôt inquiet lorsqu’elle raconte ses mauvaises rencontres ou ses périodes de galère.

On traverse avec elle l’Asie et l’Europe, frissonnant avec elle sous la pluie, apaisés quand la route se fait plus clémente. Je me suis posé mille questions sur son quotidien, ses repas, le contenu de ses sacoches, bref la vie pratique lors d’un tel voyage. Pour le reste, à savoir les rencontres et les échanges avec les populations des différents pays traversés, la cyclo-baroudeuse nous raconte ses aventures avec beaucoup de sensibilité et d’ouverture sur les autres.

La dernière phrase du livre (ne la lisez pas avant la fin, petits curieux!), résume un état d’esprit mais aussi un certain doute que l’on sent en filigrane tout au long des pages. La question du départ (courage ou fuite?), ses raisons profondes, et une quête d’une vie moins standardisée et moins consumériste, laisse présager qu’Eléonore Wenger, consultante en informatique et diplômée d’une école de commerce, aura sans doute quelques hésitations à reprendre son ancienne vie.

Au final, on tremble et on sourit en lisant ce récit, véritable ode à la tolérance et manifeste pour une ouverture sur le reste du monde.

S 3-3Auto-édition, 350 pages, 18€. Vous pouvez suivre Eléonore sur https://hangtimebybike.wordpress.com/ et https://www.facebook.com/Hangtimebybike/

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«Hiéroglyphes, les bases», de Jean-Pierre Guglielmi

hiéroglyphes« Quand tu écris, tes lettres ressemblent à des hiéroglyphes. »

Si vous avez déjà été confrontés à ce genre de remarque, j’ai trouvé un livre qui vous permettra de répondre à votre interlocuteur avec humour, puisqu’il s’agit d’un cahier d’exercices… pour apprendre à écrire des hiéroglyphes !

Sous un format pratique de cahier à spirales, vous découvrirez les phonogrammes et vous initierez à leur écriture dans des pas à pas très détaillés. L’introduction du livre rappelle (ou apprend!) les principes de cette écriture, et donne des repères (classification de Gardiner notamment). Si comme moi, votre seul repère était Champollion, vous allez faire plein de découvertes.

En revanche, c’est un livre sérieux, destiné au départ à ceux qui étudient sérieusement l’égyptien ancien. Donc pour les néophytes comme moi qui sont juste curieux de découvrir, l’ouvrage devient vite assez complexe. Mais l’ensemble reste amusant et intéressant.

S 2-3Assimil, 9,90€, 128 pages

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«La vie secrète des animaux» de Paul Wohlleben

vie secrète« La vie secrète des arbres » a été un succès littéraire et médiatique, révélant au grand public notamment comment les arbres communiquent entre eux par un réseau qu’on a presque envie de qualifier de « magique ».

En commençant l’écoute de « La vie secrète des animaux », je me demandais ce que Peter Wohlleben, le forestier sans doute le plus célèbre, allait pouvoir nous raconter. Allait-il simplement nous dire que les animaux ont des sentiments ? Je craignais qu’on enfonce des portes ouvertes pendant les sept heures d’écoute.

Au final, ce document a été une très belle découverte. Aucun ennui, aucune platitude au fil des chapitres. Au contraire ! Chaque chapitre est consacré à une espèce animale, dans un contexte donné. Et l’on découvre alors les formidables capacités intellectuelles, émotionnelles, et communicantes des animaux. Le récit est basé sur les recherches les plus récentes, illustrées sans cesse par les observations d’un homme qui vit au plus près des animaux.

Les chapitres pourraient presque s’écouter indépendamment les uns des autres, chacun étant un récit en soi. Si le fond est traité avec sérieux et rigueur, le texte est très accessible et s’écoute comme autant de petites histoires passionnantes.

S 3-3Audiolib, lu par Thibault de Montalembert, 7h02 d’écoute, 22,90€

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«A Tahiti» de Elsa Triolet

tahitiCe livre d’Elsa Triolet est une découverte pour moi, je n’avais pas connaissance qu’elle ait vécu et écrit sur Tahiti. Près d’un siècle après, il est passionnant de découvrir comment elle décrit ce qu’elle ne connaissait pas et qui fait partie de notre quotidien aujourd’hui : le lait de coco, un avocat,… Oui, ce livre est avant tout le récit d’une jeune femme, russe d’origine, qui a vécu en France métropolitaine, puis a suivi son mari à Tahiti. Dans ce livre, elle fait le récit simple de ses découvertes, de son acclimatation, et des peurs dont elle ne s’affranchira jamais totalement (la lèpre en particulier). Elle ne dit presque rien des raisons qui l’ont amenée ici, ni de comment elle a vécu la décision du départ. Elle dit très peu de choses aussi sur sa relation avec André son mari. Son récit est centré sur le quotidien, les autochtones, ses meubles, sa nourriture, les saisons, les logements…

J’ai trouvé ce récit, publié dans le catalogue des très qualitatives éditions du Sonneur, particulièrement original, autant pour la perception de Tahiti par une européenne au vingtième siècle que pour la parenthèse littéraire qu’il représente. Voilà un livre assez différent de mes lectures habituelles, mais que j’ai découvert avec beaucoup d’intérêt.

S 2-3Les éditions du Sonneur, 15€

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«Un bonbon sur la langue» de Muriel Gilbert

bonbon« Amis des mots » : c’est avec cette accroche que Muriel Gilbert, correctrice au journal Le Monde, commence la plupart des chapitres de ce livre. Ces chapitres sont retranscrits des chroniques radio qu’elle présente le week-end sur RTL.

Ce livre, en effet, s’adresse à ceux qui aiment les mots, qui apprécient de jouer avec, et s’interrogent sur les particularités de la langue française et ses pièges. En deux ou trois pages, Muriel Gilbert réussit à parler grammaire ou orthographe en toute simplicité. Imaginez, chers lecteurs de ce blog, l’attention toute particulière que je porte à ma chronique d’aujourd’hui…

Les thèmes abordés sont variés : si certaines chroniques rappellent des règles de grammaire, d’orthographe, ou de conjugaison (les verbes défectifs, les pluriels etc), d’autres sont justes plaisantes (comme celles sur les gentilés, le pluriel des noms de famille, leur prononciation etc). Saluons aussi le petit coup de gueule sur la disparition du passé simple dans certains livres pour enfants !

Le livre est amusant, facile à lire et assez décomplexant (oui, même les journalistes du Monde font des erreurs et interrogent leur correctrice !). J’ai aimé la tonalité joyeuse donnée à ces sujets qui ont hérissé des générations d’écoliers, et les exemples très concrets et issus du quotidien. « Amis des mots », vous allez vous régaler avec ce « bonbon sur la langue ».

S 3-3La librairie Vuibert, 17,90€