Roman

« Les braises de Patagonie » de Delphine Grouès

9782749181806ORIEn 1958, Valentina est l’une des rares femmes médecins à exercer sur les terres hostiles de Patagonie. Nous la suivons dans ses périples en pleine nature sauvage, forte contre les éléments, à la rencontre d’hommes qui la considèrent avec plus ou moins de respect.

En 1988, Luis enterre sa mère au Havre. Au-delà du chagrin, c’est un moment d’introspection qui lui rappelle à quel point cette femme est restée secrète toute sa vie. Un banal rendez-vous chez le notaire va lui ouvrir des perspectives de compréhension du passé.

A travers deux vies (dont on saisit assez rapidement comment elles seront reliées), on explore cette terre sauvage, dure, mais passionnante aussi, qu’est la Patagonie. On entrevoit aussi quelques axes historiques sur le Chili du XXième siècle. Le roman entremêle descriptions courtes de la nature locale, points historiques, et récit familial. La notion de transmission est évidemment très présente, mais sans pathos, plutôt prise sous l’angle de la compréhension et de la résilience.

S 2-3Le Cherche Midi, 256 pages, 20,90€ (reçu dans le cadre d’un partenariat)

BD

« La maison du péril », adaptation BD par Frédéric Brrémaud et Alberto Zanon, d’après Agatha Christie

Capture d’écran 2025-02-16 102649J’étais impatiente de découvrir cette nouvelle adaptation en BD d’un roman d’Agatha Christie, dans la collection désormais bien fournie des éditions Paquet.

Plusieurs auteurs et illustrateurs contribuent à cette collection, mais j’ai reconnu dans « La maison du péril » les personnages tels qu’ils sont croqués dans d’autres tomes – j’étais donc dans un univers familier, même si la première fois je n’avais pas complètement aimé certains visages ni le style d’Hercule Poirot.

L’histoire est celle de Nick Buckley, une jeune femme désargentée propriétaire d’une demeure qui tombe en ruines ; alors qu’Hercule Poirot séjourne à proximité, il est témoin d’une tentative d’assassinat sur la jeune femme. Celle-ci lui explique alors que plusieurs autres incidents similaires ont eu lieu les jours précédents. Il n’en faut pas plus au détective belge pour s’intéresser à ces agressions, et tenter de sauver Nick.

L’histoire est bien adaptée, les personnages tous bien identifiables, et le récit progresse au fil des fausses pistes et des découvertes. J’avais pressenti le dénouement, peut-être plus facilement que cela n’aurait été le cas dans le roman originel (j’ai lu le roman, mais comme souvent je mélange un peu les histoires de Poirot et donc je n’en garde pas de souvenir précis).

J’ai beaucoup aimé aussi les décors et les couleurs, en particulier la maison (et le bureau bibliothèque!). Ils restituent bien l’ambiance à laquelle on s’attend quand Poirot enquête en Angleterre. Bref, c’est un bon tome de la série !

S 3-3Paquet, 64 pages, 16,50€

Cosy mystery·Policier

« La cuisine mortelle de Tita Rosie (tome 2) : L’art meurtrier du halo-halo » de Mia P. Manansala

9782749178899ORILila est sur le point d’ouvrir un café avec deux de ses amies. La dernière ligne droite avant l’inauguration lui occasionne beaucoup de stress ; alors quand elle est sollicitée pour devenir jurée d’un concours de beauté local, c’est l’occasion pour elle de s’oxygéner.

Mais le concours vire rapidement au drame lorsque Rob Thomson, riche entrepreneur, sponsor du concours et coureur de jupons, est retrouvé noyé. Lila, qui a déjà apporté son aide à la police dans une précédente enquête, est à nouveau sollicitée pour enquêter discrètement.

Cette série ressemble beaucoup à celle des Hannah Swensen (des enquêtes avec une héroïne qui est fan de cuisine et qui parle nourriture pendant la moitié du roman), même si le décor et les recettes sont très différents. Je ne connais pas la plupart des aliments et des plats cités, donc cela ne me met pas beaucoup en appétit – il y a bien un (long) lexique au début du roman, mais c’est pénible de s’y référer tout le temps.

Il y a finalement très peu d’intrigue et beaucoup de digressions : la confection de la carte du café, les aspirations des concurrentes au concours de beauté, etc. Le dénouement tient la route, mais il faut accepter d’être passé par des chapitres largement consacrés à des sujets annexes.

S 1-3Le Cherche Midi, 368 pages, 15,90€ (partenariat)

Policier

« La mort frappe aussi les gens heureux » de Sophie Hannah

9782253249795-001-TSophie Hannah a été choisie par les héritiers d’Agatha Christie pour faire revivre Hercule Poirot dans de nouvelles enquêtes. J’ai déjà lu les quatre précédents romans qu’elle a écrits, dont je garde un souvenir inégal : j’en ai apprécié certains, j’ai été déçue par d’autres…

Ce tome-ci entre pour moi dans la catégorie des enquêtes décevantes. C’est étonnant d’ailleurs de l’avoir pressenti après seulement quelques pages lues. Certes j’ai retrouvé Hercule Poirot avec toutes ses caractéristiques, ses petites manies, sa haute estime de lui-même, et bien sûr son inimitable sens de la déduction qui aboutit à un dénouement face à son public, dans une bibliothèque.

Mais l’histoire est lente, se disperse dans de multiples détails et éléments de contexte qui n’apportent rien (mais franchement, faites cent pages de moins et resserrez le récit sur l’intrigue!). Les pistes mettent du temps à aboutir, on sent qu’il y a des personnages et des pistes qui seront décisifs dans le dénouement mais sans savoir comment. Le dénouement, d’ailleurs, bien qu’étant dans la lignée de ce qu’aurait pu imaginer Agatha Christie, est plutôt décevant. Le meurtrier est démasqué environ cinquante pages avant la fin, et comme toujours dans cette configuration, j’ai donc trouvé les dernières pages inutiles.

Heureusement il y a Catchpool, qui n’est pas seulement le faire-valoir de Poirot, mais qui est aussi celui qui récapitule l’avancée de l’enquête pour aider le lecteur, celui qui a le rôle du naïf qui ne comprend pas tout et se questionne – comme nous humbles lecteurs qui ne sommes pas aussi perspicaces que le grand Hercule.

S 1-3Le Livre de poche, 384 pages, 8,90€

Fantasy·Roman

« Janua Vera » de Jean-Philippe Jaworski

Capture d’écran 2025-02-12 130230J’ai ouvert ce livre avec beaucoup de curiosité, intriguée de découvrir un univers nouveau pour moi, sans savoir à quoi m’attendre (ni sur le fond, ni sur la forme).

Les dix nouvelles qui composent cet ouvrage sont toutes très bien écrites, dans un style précis mais accessible (modulo 1 ou 2 histoires avec un vocabulaire très spécifique), utilisant toujours le juste mot pour décrire le détail d’une tenue, restituer une ambiance, saisir la complexité d’une personnalité.

L’auteur a créé tout un univers autour du Vieux Royaume, dont il a imaginé une chronologie (complexe) disponible en annexe, et raconte dans chaque nouvelle l’histoire de personnages très variés, des combattants ou des servantes, sur fond de galanterie, de vengeance, de songes voire de magie. La petite mélodie de l’écriture crée un lien entre les différents récits, qui pourraient se lire indépendamment les uns des autres – j’ai d’ailleurs lu ce roman par petits bouts, comme on croque des carrés de chocolat sans dévorer la tablette en une seule fois. Les légendes et les croyances qui parsèment le livre donnent à certains textes des airs de contes, même si le cahier des charges d’une nouvelle (un texte court, et une chute inattendue) est toujours bien respecté. Les fins de chaque texte sont en effet surprenantes, et ponctuent joliment chaque récit avant d’entamer le suivant.

Même si ce livre n’est pas dans mon univers naturel de lecture, j’ai été touchée par la dimension intemporelle de ce que vivent les personnages, les guerres de conquêtes de territoires, les rêves et les croyances, la paternité,…

Ne manquez pas les annexes qui donnent un éclairage complémentaire au contexte, et démontrent l’imagination foisonnante de l’auteur.

S 3-3Les moutons électriques éditeur, 413 pages

Nouvelles

« La Peur » de Stefan Zweig

9782253153702-001-TDe Stefan Zweig, j’ai déjà lu un certain nombre de « classiques », et je me souviens en particulier de la lecture de la biographie de Marie-Antoinette (sans doute l’une des premières biographies à avoir autant réhabilité cette reine – mais c’est un autre sujet) et du style clair et précis de l’auteur. J’ai retrouvé cela dans ce recueil de nouvelles, au nombre de six, qui sont autant de portraits méticuleux et bien croqués.

Ainsi, on découvre les portraits d’une femme adultère rongée par la peur d’être démasquée (c’est la nouvelle qui donne son titre au recueil) ; d’un pickpocket trahi par ses gestes et son allure ; d’une servante nommée Crescence, paysanne entrée au service d’un baron dont elle va devenir la complice zélée de ses trahisons ; d’un bouquiniste inoubliable ; d’un collectionneur devenu aveugle qui s’accroche au souvenir de ses précieuses acquisitions.

Chaque nouvelle est écrite comme un portrait, mais c’est en réalité tout un monde que Zweig décrit autour de chaque personnage : son cadre de vie, son histoire personnelle, ses interactions avec les autres, ses pensées profondes.

Les six nouvelles peuvent se lire indépendamment. Elles jouent toutes avec les codes de la nouvelle, dans le sens où chacune porte en quelques pages ou dizaines de pages une histoire complète, avec un univers propre. Pour moi qui suis si difficile avec ce genre exigeant qu’est la nouvelle, ce recueil est une belle découverte.

S 3-3Le Livre de poche, 249 pages, 6,90€

Roman

« Pussy suicide » de Rosanna Lerner

Capture d’écran 2025-01-30 191322Ottessa n’a que seize ans, mais une vie sexuelle déjà très active. Oscar lui fait tourner la tête, mais elle ne sait pas nommer cela amour. Elle collectionne les rencontres, les aventures d’un soir où même les prénoms ne sont pas dits. Avec sa copine Chloé, aussi paumée et délurée qu’elle, elles sortent en boîte, draguent des hommes de tous âges, se perdent.

Vous l’aurez compris, c’est un roman qui parle de destruction, de gamines désorientées pour lesquelles le sexe est un exutoire. Le vocabulaire est cru, les scènes sont très explicites.

Mais le récit est froid, les scènes s’enchaînent sans grande nuance, et la pitié que j’ai ressentie au début pour Ottessa s’est vite éteinte. Tous les ingrédients étaient réunis pour que le roman soit percutant, troublant, dérangeant ; pour que l’on tremble pour Ottessa quand elle se met en danger, pour qu’on ait envie de la sortir de la spirale infernale dont elle est prisonnière. Pourtant cela n’a pas fonctionné pour moi, je n’y ai vu qu’une accumulation de scènes prévisibles, sans nuance dans les émotions. Même la fin ne va pas jusqu’au bout, comme un ultime renoncement à faire de ce roman davantage qu’un livre qui sera vite oublié.

S 1-3Grasset, 224 pages, 19€ (livre reçu dans le cadre d’une opération « Masse critique »)

Roman

« Mon cœur a déménagé » de Michel Bussi

J’ouvre toujours les romans de Michel Bussi avec la curiosité de voir où l’auteur va m’emmener, dans quel labyrinthe habilement construit il va me perdre, et dans quels pièges je vais tomber.

9782266347105ORISes romans à « twist » (pour reprendre le terme que l’auteur utilise) sont inégaux, il y en a certains que j’adore et d’autres que j’ai trouvés moins surprenants. Celui-ci fait partie de ceux qui sont plutôt réussis, pas complètement révolutionnaire mais avec pas mal de rebondissements jusqu’aux dernières pages (et aussi des rebondissements intermédiaires, ce qui est encore mieux).

Ophélie, sept ans, vit dans un climat familial toxique : son père, alcoolique et drogué, est violent avec sa mère… jusqu’au jour où celle-ci est retrouvée morte. Le mari est accusé, emprisonné, et Ophélie est placée dans un foyer. Elle est persuadée que le travailleur social qui accompagnait sa mère aurait pu la sauver. A partir de là, elle n’aura qu’une idée en tête : le retrouver et se venger de lui.

On suit Ophélie jusqu’à l’âge adulte, dans une quête pleine de détermination où la vengeance est construite pierre par pierre, réfléchie, et donc redoutablement efficace.

Sur fond de drame familial, et tout en mettant sous les projecteurs les violences faites aux femmes et les féminicides, Michel Bussi entraîne son héroïne dans une trajectoire de vengeance bien menée.

Il n’oublie pas au passage quelques clins d’œil à ses références préférés, que ses lecteurs assidus ne manqueront pas de relever : Rouen, Saint-Exupéry, et bien sûr un extrait de chanson en guise de titre.

S 3-3Pocket, 480 pages, 9,20€

Roman

« Sous le compost » de Nicolas Maleski

9791033904687J’aime bien l’humour grinçant, le second degré, les histoires dont on ne sait pas tout de suite si elles seront drôles ou sombres – ou les deux. « Sous le compost » remplit tous ces critères. Son titre, déjà, ne laisse pas indifférent et m’a fait imaginer plein d’histoires, plein de chemins possibles pour ce roman.

L’histoire est celle de Franck et Gisèle, un couple uni qui vit dans un petit village. Elle mène une brillante carrière de vétérinaire ; il est écrivain de seconde zone et avant tout père au foyer et cultivateur de potager à plein temps.

Lorsqu’une lettre anonyme informe Franck que sa femme le trompe, il aurait pu la quitter, ou s’effondrer – et cela aurait été un tout autre roman. Mais Franck décide de prendre le contre-pied de cette tromperie, et de tromper à son tour sa femme avec celle de l’amant supposé. Passé l’effet de vengeance, il va se retrouver dans une situation de plus en plus difficile à gérer…

Avec un second degré très bien amené, l’auteur nous propose un roman qui balaie une grande diversité de situations qui mettent en scène les rapports humains, bien au-delà des relations de couple qui sont à la base de l’histoire : les amitiés de village, les jalousies professionnelles, et même le quotidien avec les enfants. Franck est tour à tour la victime et le coupable, il retourne les situations avec aplomb et une certaine dose de cocasserie.

C’est irrévérencieux, et cela m’a plu.

S 3-3HarperCollins, 256 pages, 7,50€

BD

« Le passage » de Benoît Vieillard

le_passage_cover-05631Nantes, 1837. Un notaire et un restaurateur ont tous deux de grandes idées pour transformer l’insalubre rue de la Fosse, et y faire déboucher un passage d’un nouveau genre. Au lieu de s’opposer, ils décident de s’unir, lèvent des fonds, et se lancent dans un investissement faramineux. On suit ainsi, au fil des pages, la création et la transformation du célèbre passage Pommeraye.

Si le livre a le format d’une bande dessinée, chaque double page est un plan en coupe de l’une ou l’autre des entrées du passage. Il y a un fil rouge de page en page, mais on peut s’attarder aussi sur les multiples détails, la vie aux différents étages des immeubles, la chocolaterie, la boucherie, l’hôtel…

L’angle de vue est vraiment intéressant, et plus original que si l’histoire avait été racontée via de classiques vignettes. Il fait réfléchir le lecteur sur la mémoire des lieux, sur ce que chacun y laisse, et sur l’évolution d’un endroit très fréquenté, que les passants traversent sans s’interroger. Si l’on ne connaît pas ce passage nantais, ce livre donne très envie d’aller y flâner et d’y chercher l’âme des esprits visionnaires qui l’on façonné, et de ceux qui ont continué, au fil des décennies, à y insuffler de la vie.

S 3-3Ed. Ouest France, 88 pages, 21€