Roman

« Un homme qui savait » d’Emmanuel Bove

I23597J’ai tant de livres qui attendent d’être lus près de ma table de chevet, des livres que j’empile au fur et à mesure de mes coups de cœur, des lectures d’autres chroniqueurs, de mes centres d’intérêt et de mes lubies du moment, que parfois j’oublie comment un livre est arrivé là.

J’ai oublié ce qui m’avait donné envie de lire ce livre.

Le pire, c’est que la lecture de ce roman ne m’a pas aidée à m’en souvenir !

Maurice Lesca, retraité dont on ne sait pas grand-chose, vit dans la misère (ou dans une aisance perdue) avec sa sœur Emily – leur cohabitation étant subie plus que voulue. La seule autre femme avec laquelle Maurice discute, c’est Madame Maze, la libraire, pour laquelle il s’est mis en tête de récupérer de l’argent auprès de l’ex mari de celle-ci.

Le roman raconte le quotidien triste et rébarbatif de cet homme. J’ai attendu jusqu’aux dernières pages une étincelle, un sursaut, une révélation qui aurait donné un autre prisme à la vie de cet homme. Rien n’est venu. Alors si le texte est plutôt bien écrit, cela n’a pas suffi à me convaincre : il m’a manqué un rebondissement, ou un éclairage différent sur Maurice Lesca, pour que je trouve le personnage attachant et l’histoire plus captivante.

S 1-3La table ronde, 224 pages, 7,10€

Essai / Document

« Proust, roman familial » de Laure Murat

9782253908630-001-T« Proust m’a sauvée »

écrit l’auteure en excipit du livre.

Il faut lire les 200 pages de ce texte pour comprendre comme Laure Murat, née aristocrate d’une famille citée à plusieurs reprises dans « A la recherche du temps perdu », reniée par sa mère en raison de son homosexualité, a trouvé dans l’oeuvre de Proust des clés de décryptage de son propre contexte social et familial.

Ne vous découragez pas à la lecture du premier tiers du livre, où sont cités de nombreux membres de sa famille (avec les liens de parenté), apparemment célèbres. Cela ressemble à un Who’s Who assez indigeste, où le name dropping est assez ennuyeux pour qui ne connaît pas l’arbre généalogique de l’auteure.

La suite est plus intéressante. En creusant les marqueurs de l’aristocratie, décrits par Proust et vécus par l’auteure pendant sa jeunesse, en cherchant à définir le snobisme, en analysant ses propres relations familiales, l’auteure ouvre un champ plus personnel, plus touchant. Elle propose alors un récit intime sur ses relations familiales, l’étroitesse d’esprit à laquelle elle a été confrontée en révélant son homosexualité (les passages avec sa mère sont terribles).

Le récit se recentre sur Proust dans la dernière partie, sur l’enseignement que cette professeure en fait à ses étudiants, et surtout sur son amour assumé pour une œuvre exigeante qu’elle défend contre tous les a priori. Et de conclure :

« Aucun livre de la langue française ne provoque autant de préventions et de défiances ».

On n’aurait pas dit mieux.

S 2-3Le Livre de poche, 264 pages, 8,40€

Roman

« Aux marges du palais » de Marcus Malte

PLAT1MargesDuPalais-scaledD’un côté, il y a un palais, une cage dorée dans laquelle vit Aneth, seize ans, héritière protégée qui n’est jamais sortie de chez elle.
De l’autre côté des grilles du palais, c’est un autre monde qui vit : peuple pauvre, affamé, parfois sans domicile. C’est dans cette partie-là du monde que vivent la Baronne, Mo, Zap, La Souris, Doc, autant de marginaux qui se sont regroupés pour partager un logement (et leurs galères). C’est aussi ce groupe-là, mené par la Baronne, qui projette de bousculer le monde établi en s’attaquant à la Tour F le 1er mai.

    « Je veux que tous ces hommes, toutes ces femmes, tous ceux qui se joindront à nous, je veux qu’ils aient l’occasion de se montrer, de sortir de leur trou à rat, de relever la tête, de faire entendre leur voix. Je veux qu’au moins une fois dans leur vie ils puissent hurler : J’existe ! »

L’écriture est riche, pleine de jeux de mots et de doubles sens : c’est un beau travail de précision, qui se déguste pour le plaisir du bon mot, de la petite phrase bien trouvée. Le texte est écrit de façon à créer une certaine proximité entre l’auteur et le lecteur ; l’auteur se met à notre niveau comme s’il racontait cette histoire de vive voix, avec ses commentaires, comme s’il était pleinement concerné par le récit et nous le racontait avec son regard et sa sensibilité. C’est assez efficace pour conserver l’attention du lecteur (malgré quelques longueurs) et le mettre dans la confidence de la préparation de ce 1er mai révolutionnaire. Le royaume de Frzangzwe ressemble beaucoup à une certaine critique de la France (même s’il m’a fallu une bonne partie du livre pour voir le jeu de mot sur le pays!).
La couverture, faut-il encore le mentionner quand on parle de Zulma, est une fois de plus très réussie.
Petit regret, les titres des chapitres sont formulés comme des définitions de mots croisés, et je n’en ai résolu qu’un seul ! Mettre les solutions en fin d’ouvrage aurait été une bonne conclusion.

S 2-3Zulma, 496 pages, 24€ (reçu dans le cadre d’une « masse critique »)

Policier

« Ténèbres, prenez-moi la main » de Dennis Lehane

51tAzpYd0RL._SY445_SX342_Après « Un dernier verre avant la guerre », j’ai eu envie de poursuivre la lecture des aventures de Patrick Kenzie et Angela Gennaro, tous les deux détectives à Boston. J’avais trouvé le premier tome sombre mais efficace. J’ai eu plus de mal à entrer dans ce deuxième tome : trop de personnages, histoire trop compliquée, ou tout simplement une moindre concentration de ma part ? Sans doute un peu des trois !

L’histoire en tout cas est assez longue à démarrer, et passe par de sinueux détours avant que l’on comprenne quelle sera l’intrigue centrale.

Patrick est appelé auprès d’une psychiatre, qui pense que l’une de ses patientes est menacée, et dont le propre fils est en danger. Tout le début du roman tourne autour de ces personnages, avant que l’histoire prenne un tournant qui nous éloigne d’eux. Le passé de Patrick, et son enfance traumatisée auprès d’un père violent et pervers, est encore plus présente que dans le premier tome – et on ne sait pas encore tout de cette relation destructrice entre un père et son fils. Quant aux liens entre Angela et Patrick, ils prennent encore un peu d’épaisseur. Leur quête profonde de justice s’ancre dans la durée, et leur intimité se renforce. Il y a de la matière à exploiter pour les prochains tomes.

S 2-3Ed Payot, coll. Rivages Noir, 498 pages, 11,50€

Biographie·Essai / Document

« Agir et penser comme la Reine d’Angleterre » de Dorica Lucaci

6ccf73ec2e34288f6cde38bb0e01Une fois n’est pas coutume, la recommandation de cette lecture me vient… du Guide du Routard ! L’idée étant, pour un séjour à Londres, de se plonger via la lecture dans une ambiance toute british.

Le concept du livre est le suivant : à partir d’éléments autobiographiques sur Elizabeth II (qui était encore vivante quand le livre a été publié pour la première fois), l’auteure propose quelques conseils de vie sur des thématiques variées.

Ainsi il est question, en vrac, d’éducation, de vie publique, de courage, de famille, de relation aux autres, de lâcher-prise, de couple, de dignité… n’en jetez plus !

J’ai bien aimé redécouvrir des anecdotes sur la reine Elizabeth II (même si je n’ai rien appris… moi aussi j’ai vu « The Crown »). L’idée de départ du livre (aller chercher de l’inspiration dans la vie de la monarque sans doute la plus célèbre de notre époque) est assez plaisante. Mais les conseils proposés manquent de profondeur, ce sont au mieux des conseils dignes de magazines de psychologie bas de gamme, au pire de simples lapalissades. J’ai fini par survoler les parties avec les conseils (sans intérêt) pour concentrer ma lecture sur les parties biographiques et les anecdotes.

S 2-3Editions de l’Opportun, 240 pages, 12,90€

BD

« Bergères guerrières – La relève (tome 1) » de Jonathan Garnier et Amélie Fléchais

9782344016459-001-TIl y a dix ans, les hommes du village sont partis à la guerre. Depuis, nul n’est revenu. Comment s’organiser quand la moitié du village disparaît du jour au lendemain ? Comment défendre les terres ? Les femmes qui sont restées auraient pu être des victimes collatérales de cette guerre ; elles ont décidé de refuser leur sort et de prendre le destin de leur village en main.

Cette année, c’est la jeune Molly, accompagnée de ses copines, qui va intégrer l’entraînement pour devenir elle aussi une « bergère guerrière » et apprendre à défendre son village.

Cette BD fort réussie raconte le rite initiatique que vivent ces jeunes filles – elles vont apprendre à tirer à l’arc, à se battre, à manier l’épée. Si Molly est effrontément courageuse, toutes ses copines ne le sont pas autant, et l’histoire raconte aussi la pression qui pèse sur ces enfants qui doivent passer un cap dans leur vie. Ensemble, unies par l’appartenance à ce groupe, elles deviennent fortes. Et je ne parle pas de Liam, le petit garçon qui ne devrait pas faire partie de ce groupe de filles, mais qui va peu à peu gagner sa place à force de détermination.

Une jolie leçon de courage, d’engagement, de solidarité ! Cette lecture m’a d’autant plus plu qu’elle m’a été conseillée par une ado (merci Alix !) dont je ne peux que saluer la qualité des lectures.

S 3-3Glénat, 72 pages, 15,50€

Cosy mystery·Policier

« Les dames de Marlow enquêtent (tome 3) – Poison en huis clos » de Robert Thorogood

Capture d’écran 2024-10-10 203854Il y a une vraie différence entre les livres que je lis et ceux que j’écoute en version audio. La série des « Dames de Marlow » en est un bon exemple. J’ai adoré les deux premiers tomes en version audio – la lecture de Rachel Arditi était un plus, elle interprétait à merveille chacune des enquêtrices amatrices, Judith la verbicruciste octogénaire, Becks la femme de vicaire un peu coincée, et l’inénarrable Suzie, gardienne de chiens et animatrice sur la radio locale, la plus drôle des trois. Dans les deux premiers tomes, la seule voix de Suzie suffisait à me faire rire.

Alors forcément, le troisième tome en version papier n’a pas la même saveur… Les trois héroïnes sont égales à elles-mêmes, l’enquête est assez similaire dans sa construction (le maire de Marlow meurt empoisonné pendant un conseil municipal, ce qui fait de ses collègues présents ce soir-là les principaux suspects). C’est sympathique et gentillet, il y a des fausses pistes, des détails à ne pas manquer, des déductions, qui font le job pour un bon cosy mystery. Mais il m’a manqué le petit plus d’une narration réussie, de l’incarnation dans les personnages comme je l’avais aimée dans la version audio. Dommage !

S 2-3La Martinière, 400 pages, 14,90€

Roman

« L’école des soignantes » de Martin Winckler

ecole-des-soignantesJ’avais été très marquée par « Le chœur des femmes » de Martin Winckler. Quand je l’avais lu, je crois que c’était la première fois que je lisais un médecin, homme qui plus est, décrire avec autant de justesse le vécu des femmes, leur lien avec leur corps, avec la médecine. Il y a tant à dire sur la prise en charge de la santé des femmes – c’est une thématique qui émerge de plus en plus, mais le chemin à parcourir est encore long. Des violences médicales existent encore trop souvent, héritage d’un certain patriarcat et de préjugés en tous genres.

Dans ce livre, Martin Winckler imagine un hôpital où les femmes sont au cœur de la prise en charge – femmes qu’on soigne, et femmes qui soignent. Un homme entre comme soignant dans cet hôpital, et c’est par son regard et son vécu que l’on découvre cet hôpital atypique. Il y a, comme dans les autres livres de Martin Winckler, toujours beaucoup d’engagement, une défense permanente des femmes. Hélas dans ce livre-ci j’ai trouvé les messages peu subtils, les propositions moins nuancées (presque une somme de caricatures qui sonnaient un peu faux à force d’être accumulées). J’ai préféré m’arrêter vers la page 100 (sur plus de 500), et rester sur le bon souvenir de ma précédente lecture.

S 1-3P.O.L, 562 pages, 21,50€

Nouvelles

« Les plaisirs et les jours » de Marcel Proust

Capture d’écran 2024-10-03 204337J’adore les boutiques de musée. J’y trouve toujours des ouvrages discrets, des éditions méconnues ou devenues introuvables. Je peux citer plein d’exemples, de Paul-Emile Victor à Emma Calvé, mais aujourd’hui c’est (de nouveau) de Marcel Proust que je vais vous parler. La maison de la Tante Léonie a rouvert ses portes il y a quelques mois, et si je n’ai pas pu y être le jour de l’inauguration, j’y étais quand même le premier week-end (j’ai des lubies comme ça).

Et donc, dans la boutique souvenirs, il y avait ce livre de jeunesse écrit par Proust quand il avait 25 ans, et dont je n’avais jamais entendu parler.

D’abord le livre est un bel objet en soi, une édition qualitative qui reproduit la version originale avec de nombreuses illustrations. Je ne suis plus habituée à ce style de présentation dans les livres, et j’ai aimé cet objet au charme désuet et coquet.

Sur le fond c’est un assemblage de textes très courts, souvent des portraits, avec quelques tentatives – moins réussies – d’exploration sur d’autres genres, comme la poésie. C’est amusant de retrouver d’un côté l’œil perspicace que l’on connaît de Proust pour croquer les personnages, faire ressortir leurs petits vices ou leurs petites manières ; et d’un autre côté (sans être du tout une spécialiste de Proust), je n’ai pas reconnu son style d’écriture. Les phrases sont courtes (si si, c’est vrai), sans ambages. C’est étonnant, intéressant aussi car on mesure le cheminement dans la façon d’écriture, qui évolue au fil des années. Le cœur des histoires n’est pas passionnant en lui-même, mais je suis contente que ce petit livre un peu à part dans l’œuvre de Proust, ait rejoint ma bibliothèque.

S 3-3Calmann-Lévy, 352 pages, 35€

Policier·Roman

« Un dernier verre avant la guerre » de Dennis Lehane

81Jg5x-ejBL._SY466_Aurais-je abordé ce livre de la même manière s’il ne m’avait pas été recommandé ? Probablement pas. Il y a des livres que l’on ouvre avec un a priori positif, parce qu’on nous en a parlé en bien, parce qu’on a envie de se dire qu’on va aimer cette lecture nous aussi.

Heureusement – et j’en viens au fait – cette lecture a été à la hauteur de mes attentes ! C’est le premier tome d’une série consacrée aux détectives Patrick Kenzie et Angela Gennaro, installés à Boston (dans un clocher, bizarrerie de l’histoire).

Si vous avez l’habitude de lire mes chroniques, vous vous dites peut-être : détectives + duo + série = cosy mystery.

Pas du tout.

Ici on est loin des quiches empoisonnées et des jalousies de village. Ici on est dans le glauque, le poisseux, l’Amérique sombre des années 1990. D’ailleurs j’ai trouvé le début un peu daté, avec des détails qui créent une ambiance de vieux film noir, où des politiques véreux font appel à des détectives pour retrouver des documents volés par une femme de ménage. Dans l’Amérique décrite ici, c’est avant tout un combat de classes, les puissants contre les modestes, les Blancs contre les Noirs.

Les deux personnages principaux ne sont pas spécialement sympathiques : lui est désabusé (au début du livre on ne sait pas trop dans quel camp il joue) ; elle est une femme battue dont on ne comprend pas l’absence de révolte. Mais j’ai fini par m’attacher à eux, aux blagues acerbes de Patrick, aux erreurs d’Angela (bien qu’il multiplie les liaisons, Patrick est amoureux d’elle, et elle devient attachante à travers ses yeux à lui).

Il y a quelques scènes assez violentes pendant les affrontements entre gangs de rue ; j’ai lu ces quelques pages en diagonale pour ne pas trop m’y attarder. Tout le reste du roman est bien construit, avec des messages de fond, et un bon équilibre entre la noirceur du récit et parfois des petites pointes d’humour noir qui nous arrachent un sourire et laissent une trêve de quelques pages au lecteur.

Je sais déjà que je lirai le prochain tome (je l’ai déjà réservé à la bibliothèque…), et dans tous les cas je ne regrette pas d’avoir suivi ce conseil de lecture !

S 3-3Rivages, 352 pages, 9,65€